Page 29 - EXTRAIT ANACALYPSE
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tout ça, que le savon  emporte ce soir  encore saleté, honte
               et souvenirs. Elle fourra ses vêtements directement dans la
               machine à laver et ouvrit le robinet pour laisser arriver l’eau
               chaude, puis elle entra, se savonna, et finalement s’assit dans
               le bac à douche, les genoux remontés sous le menton. La buée
               devint brouillard qui la coupa du monde. Rien n’existait plus
               que ce nuage qui faisait disparaître la salle de bains, l’apparte-
               ment, l’univers. Elle s’y fondait – tout son être disparaissait en
               tourbillons dans la bonde, vers les égouts. Elle ne pensa plus
               à rien.
                   Lorsque  les réserves  du chauffe-eau  furent épuisées, le
               froid la ramena au réel.
                   En passant près du lave-linge, elle  mit  ses  vêtements
               à tourner : il fallait profiter des heures au cours desquelles
               l’électricité était disponible.
                   Je ne suis pas encore complétement dingue, si je pense encore aux
               heures  de courant…, se dit-elle tandis qu’elle  sélectionnait  le
               programme « économique » sur le lave-linge.
                   Ce n’est pas moi qui suis dingue, c’est lui. Ce n’est pas moi qui
               suis dingue, c’est lui. Ce n’est pas moi qui suis dingue…
                   Elle se pelotonna comme elle put dans son lit, puis ferma
               les yeux pour faire venir le sommeil, mais en vain. Les images
               de son passage au commissariat, au petit matin après le départ
               de  Kostas,  n’en  finissaient  pas  de  tourner  en  boucle  et  se
               mêlaient en un cauchemar gluant avec les réminiscences des
               coups et des cris. Quelque chose semblait cassé dans l’esprit
               de son petit ami, un interrupteur enclenché sur la position
               « folie furieuse », une sécurité qui aurait sauté et qui laisserait
               désormais passer le  pire de  son être. Elle ne comprenait
               toujours pas comment son histoire d’amour avec cet homme
               charmant et cultivé, ce professionnel aguerri de l’humanitaire,
               s’était transformée en descente aux enfers.
                   Elle avait dû s’y prendre à plusieurs reprises pour faire
               sa déposition, et  avait exigé  de  changer d’interlocuteur.

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