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des milliers de tâches, ils seront l’expression d’un nombre fini de capacités, alors que notre intel-
ligence humaine est continue et infinie.
C’est pour cela que je propose de parler d’« intelligence augmentée ». Une intelligence humaine
augmentée par les services d’une intelligence artificielle.
Actuellement, l’assistance par IA de chaque compétence de chaque domaine fait pratiquement
toujours l’objet d’une commercialisation. Cette balkanisation des entreprises en termes de compé-
tence est déjà un énorme frein à la conception d’un dentiste robot capable d’accomplir toutes les
tâches. Comme toutes les tentatives d’uniformisation des langages informatiques ont été vaines,
il est peu probable de concevoir une seule machine mettant en œuvre indépendamment tous les
actes techniques. Le praticien devient un chef d’orchestre des différents algorithmes : c’est lui qui
prend la décision du type d’outils qu’il utilise mais aussi et surtout de l’utiliser au bon moment et à
bon escient. La première machine à calculer, en 1642, ne permettait que de faire des additions,
pourtant elle augmentait la capacité de calcul des utilisateurs.
Mon avis est que l’IA ne supprimera pas les métiers très techniques comme ceux des professions
de santé. Elle rendra le travail plus gratifiant en déléguant les tâches automatisables. Ce nouveau
champ de compétences amènera même plutôt la création de nouveaux métiers pour assister les
sachants à utiliser ces outils.
L’intelligence des algorithmes n’a strictement rien à voir avec notre intelligence humaine qui est
donc continue et infinie. Quand nous nous retrouvons face à un problème auquel nous n’avons
jamais été confronté, nous allons trouver une solution, pas forcément la bonne mais nous sommes
capables d’inventer quelque chose très rapidement, de prendre une décision « au hasard »
influencés par nos multiples compétences et expériences. A contrario, les intelligences artificielles
sont créées par nous, selon deux méthodes : soit des statistiques sur un historique de données
existantes, soit de la logique (systèmes experts des années 70 à 90). Dans les deux cas, nous
créons les règles du jeu. Certaines IA peuvent créer de nouvelles règles, prendre des décisions à
partir de données et du hasard. Ce hasard sera mathématique, il ne permettra pas de prendre de
décision face à une situation inconnue. Il est donc de la responsabilité de l’ingénieur de maîtriser
les données qu’il utilise et d’entraîner son algorithme pour contrôler le risque de biais qui peut être
introduit dans sa programmation. Le robot pourra très bien réaliser un acte qui n’a jamais été fait
par un être humain, mais il ne fera rien qui ne sera pas issu des données et consignes qu’on lui a
enseignées. Il n’y a donc aucun risque d’auto-programmation par la machine.
Que pensez-vous de la crainte grandissante autour du partage des données, notamment
dans le monde de la santé ? De plus en plus de services en ligne commercialisent des
outils d’analyse des données patients reposant sur l’IA ? Auriez-vous des conseils, un
éclairage sur la bonne conduite, selon vous, à adopter en tant qu’acteur du monde de la
santé ?
Il est très difficile d’obtenir un bon équilibre entre sécurité et liberté. La mise en place du règlement
général de protection des données (RGPD) a au moins permis d’éduquer les gens, en soulevant
le fait qu’il y ait potentiellement un problème de sécurité des données produites par leur activité.
Déjà en tant que patient, il faut que j’aie une exigence sur ce que je fais de mes données. Dans
le cas du monde de la santé, ces données vont non seulement permettre de me soigner, mais
peuvent aussi participer à des travaux de recherche pour soigner encore mieux dans l’avenir et
aider des malades. Il ne faut pas oublier que les outils utilisés aujourd’hui pour me soigner ont été
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