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La Tribune des travailleurs - No259 - Mercredi 7 octobre 2020
Mali
Nouveau gouvernement : est-ce le changement attendu ?
INTERNATIONAL
IRoumanie Constantin Cretan en danger !
Le « vice-président de la transition »
lors de l’investiture du nouveau gouvernement, le 25 septembre
l y a vingt ans, le syndicaliste des mines de charbon Constantin Cretan était en première ligne, aux côtés du dirigeant syndical Miron Cozma, des marches de milliers de mineurs sur la capitale, Buca- rest, pour défendre leurs droits conquis par des années de lutte syndicale, alors que le Fonds monétaire international
exigeait du gouvernement roumain la liquida- tion des mines « non rentables » et de milliers d’emplois.
À l’époque, même la grande presse devait se rendre à l’évidence : « Le gouvernement roumain était prêt à tout, c’est-à-dire au pire, pour arrêter la marche des mineurs en grève de la vallée de la Jiu en direction de Bucarest. Une marche entamée lundi 18 janvier, réunis- sant environ 10 000 hommes, ovationnés sur leur passage par les populations locales (...). Jeudi 21 janvier, les mineurs avaient forcé un barrage des forces de l’ordre dans le petit village de Costesti (...). Le soir, à Rimnicu Vilcea, les mineurs sont accueillis triomphalement par les habitants. Le lendemain matin, le président de la République, Emil Constantinescu, annonce qu’il décrétera dans la journée l’état d’urgence si les mineurs ne renoncent pas à marcher sur la capitale » (L’Express, 21 janvier 1999). Pour arrêter l’avancée des mineurs, à moins de 200 kilomètres de la capitale, le gouverne- ment signe avec leurs dirigeants un accord, dans le monastère de Cozia, s’engageant à des augmentations de salaire et au maintien des mines.
Non seulement l’accord ne sera pas res- pecté par le gouvernement, mais il fait arrê- ter et lourdement condamner les dirigeants syndicaux, dont Constantin Cretan et Miron Cozma qui passeront près de cinq ans en pri- son (des prisons construites il y a cent ans, quasiment jamais rénovées depuis). L’un des détenus, Ionel Ciontu, mourra en prison le 11 janvier 2007, faute de soins. C’est une large campagne internationale ouvrière de solida- rité* pendant des années et une plainte dépo- sée à l’Organisation internationale du travail (OIT) par la confédération syndicale roumaine Meridian en mai 2006 qui permettront finale- ment la libération des syndicalistes en 2008.
Mais le pouvoir roumain, plus de vingt ans après les faits, n’a pas renoncé à se ven- ger. Une véritable machination administrative
Le but que s’est donné le peuple malien en se soulevant le 5 juin pour dénon- cer le trucage d’élections législatives, aux cris de « Dehors IBK » (1), n’est pas
encore atteint. Les masses ont pourtant chassé du pouvoir l’ancien président de la République Ibrahim Boubacar Keïta (dont le parti est membre de l’Internationale socia- liste), et cela malgré les appels au calme venus de toutes parts.
La détermination du peuple malien n’a pas faibli. C’est le 18 août, au cours d’une nouvelle mobilisation de milliers de jeunes et de travailleurs qui scandaient des mots d’ordre hostiles au régime, qu’un secteur de l’armée a décidé d’intervenir en empri- sonnant le chef d’État et son entourage. Les auteurs du putsch se sont alors proclamés Conseil national du salut du peuple, favo- rable à une « transition démocratique ».
Et depuis ? Nicolas Normand, ancien ambassadeur français à Bamako, s’est ras- suré de voir que « la junte qui a pris le pou- voir est apparue assez modérée et assez struc- turée », voyant dans l’action de l’armée un « moindre mal » et se félicitant de « décla- rations rassurantes pour Paris ». La France déploie plus de 5 000 soldats dans cette ancienne colonie, officiellement pour lutter contre le terrorisme.
Une campagne internationale a été lancée
s’est mise en marche, aboutissant à une déci- sion judiciaire hallucinante à l’encontre de Constantin Cretan, qui n’a jamais cessé d’ac- complir son mandat syndical depuis sa libé- ration. La décision exige de Cretan qu’il rem- bourse personnellement tous les dégâts causés par l’action des gendarmes, les munitions utilisées pour tirer sur des mineurs désarmés, les journées d’hospitalisation de gendarmes blessés dans les affrontements provoqués par leur action répressive ! Une somme de plus de 2 millions d’euros ! Et l’État roumain, sans autre formalité, a mis la décision à exécution,
prélevant chaque mois cette « dette » sur la pension de Constantin Cretan et mettant sous séquestre ses maigres biens matériels !
Aucun militant syndical, aucun citoyen attaché à la démocratie dans le monde ne peut accepter une telle mesure. Une campagne internationale à l’initiative de militants qui, il y a quinze ans, avaient initié celle pour la libé- ration des syndicalistes mineurs emprisonnés en Roumanie, a été lancée. n
Dominique Ferré
* Campagne internationale à laquelle participèrent à l’époque, parmi de nombreux autres militants, Marc Blondel et Jean-Claude Prince, syndicalistes de France et de Suisse, Ion Popescu, alors président de la confédération syndicale roumaine Meridian, Daniel Gluckstein, alors coordinateur de l’Entente internationale des travailleurs et des peuples, et de très nombreux autres.
« Des déclarations rassurantes pour Paris »
Pour accentuer sa pression sur les putschistes, la Commu- nauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a instauré des sanctions économiques avec l’aval de la « commu- nauté internationale ». Il
est notamment impossible pour les agricul- teurs d’exporter leurs céréales ou leur bétail dans les pays voisins. Quant aux stocks de nourriture et de produits manufacturés, ils seront épuisés dans quelques semaines.
Depuis, la junte a annoncé un nouveau gouvernement : son « président de la tran- sition », Bah N’Daw, ancien chef d’état- major de l’armée de l’air, était ministre de la Défense sous Ibrahim Boubacar Keïta. Son vice-président, Assimi Goïta, est l’auteur du coup d’État. Quant à son Premier ministre, c’est l’ancien ambassadeur du Mali à l’ONU, également ministre des Affaires étrangères de 2004 à 2011. Est-ce le changement attendu par les centaines de milliers de manifestants qui exigeaient, et exigent toujours, que le régime dégage ?
Les principaux responsables du mou- vement M5 (2) ont contresigné, le 12 sep- tembre à Bamako, une Charte de la tran- sition, qui se veut « partie intégrante de la Constitution du 25 février 1992 », c’est-à- dire respectueuse du régime actuel, bien loin d’une Assemblée constituante pour- tant réclamée par les manifestants. Les signataires appellent ensemble à la « néces- sité d’une trêve sociale ».
Sitôt investi, le nouveau président a d’ailleurs assuré que « la transition qui s’ouvre ne remettra en cause aucun engage- ment international, ni les accords signés par le gouvernement », ne remettant en cause ni la présence de l’armée française, ni les engagements envers le Fonds monétaire international. Est-ce là la voie vers la sou- veraineté, la démocratie et la justice sociale auxquelles aspire le peuple malien ? n
Avec notre correspondant à Bamako
(1) L’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta (2) Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), coalition de partis et groupes d’opposition.
Arabie saoudite Une monarchie corrompue et répressive
À droite, le prince Mohammed ben Salmane,
à gauche, des travailleurs immigrés (Inside Arabia)
Enlisée dans une sale guerre au Yémen depuis 2015, l’Arabie saoudite soumet sa population à des mesures d’austérité « douloureuses », aggravées par la crise du Covid-19. Voici ce qu’écrit notre correspondant.
triplé le taux de TVA à partir de juillet 2020, tout en supprimant l’allocation de coût de la vie, une allocation censée alléger l’impact de la TVA sur les ménages saoudiens. L’objectif étant d’économiser 26 milliards de dollars pour les coffres de l’État. À ces mesures sans précédent s’ajoute une politique d’endette- ment à l’international, dans un pays jeune (75 % des Saoudiens ont moins de 30 ans, dont un tiers est au chômage).
« Kafala », « Ajeer » ou l’esclavage 2.0
La « kafala », un système de parrainage, lie les permis de séjour des travailleurs migrants aux employeurs parrains, dont le consen- tement écrit est requis pour que les travail- leurs changent d’employeur ou quittent le pays. Profitant de la crise du Covid-19, le gouvernement saoudien a décidé la levée de toute disposition liée à la protection des salaires pendant la pandémie, permettant aux employeurs de réduire le salaire de leurs employés jusqu’à 40 %.
Dans le même temps, le gouvernement a pris en charge 60 % des salaires des employés saoudiens travaillant dans le secteur privé pour une période de trois mois. Mais cela, faut-il le rappeler, ne concerne pas les 6 mil- lions de travailleurs étrangers établis dans le royaume, soit 30 % de la population active.
Dans sa publication de juin 2020, le fonds d’investissement Jadwa, basé à Riyad, note que « les employeurs abusent souvent de ce pouvoir [la kafala], en violation de la loi saou- dienne, pour confisquer les passeports, retenir les salaires et forcer les migrants à travailler contre leur volonté ou dans des conditions d’exploitation. » Le fonds projette également que d’ici à la fin de 2020, environ 1,2 million de travailleurs expatriés quitteront le marché du travail local. Concrètement, les employeurs peuvent initier le retour de leurs employés expatriés dans leur pays d’origine, en soumet- tant une demande, en ligne, au ministère des Ressources humaines et du Développement social (une demande est autorisée tous les quatorze jours et peut inclure plusieurs noms).
Le ministère autorise également un dispo- sitif de prêt temporaire des services d’expa- triés hors du marché du travail via le portail « Ajeer » (salarié, en arabe), comme alterna- tive au recrutement à l’étranger. Le ministère viserait par cette décision à protéger les tra- vailleurs contre le licenciement ou la perte de leurs « avantages contractuels » (la notion de droits des travailleurs est totalement étran- gère au contexte saoudien). Le portail élec- tronique propose aux entreprises de publier les noms de leurs travailleurs « excédentaires » (sic). Désormais, un employeur peut engager un comptable, un médecin ou bien un techni- cien, à sa guise, sans le passage obligé par la « kafala ». De la force de travail, au rabais, en quelques clics. À suivre... n
Ahmad Al. (Khobar, Arabie saoudite), septembre 2020
prendre toutes les mesures « doulou- M
onsieur Al Jadaan, ministre de l’Économie, déclarait le 2 mai sur Al- Arabiya que le royaume était prêt à
reuses » nécessaires pour atténuer l’impact de la crise due à la pandémie et à l’effondrement des prix du pétrole (en quatre ans, les réserves de change du royaume ont chuté de 233 mil- liards de dollars, selon l’Autorité monétaire saoudienne).
Première économie du Conseil de coo- pération du Golfe (CCG), la monarchie saou- dienne imposa des mesures d’austérité dès 2015 : gel des dépenses gouvernementales, suppression progressive des subventions et instauration d’une taxe de type TVA. Dans sa tentative de contenir l’impact économique de la pandémie sur le budget de l’État, Riyad a