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Je m'approche, avec tous mes sens éveillés, d'une lourde porte faite de bois et
                  de fer forgé. Je sais, j'ai l'impression que quelque chose d'unique m'attend ce
                  soir.  Je  remarque,  avec  un  léger  étonnement,  comment  la  porte  s'ouvre
                  silencieusement,  comme  mue  par  la  main  invisible  du  temps.  Je  colle  mon
                  manteau à mon corps. J'essaie de m'envelopper dans son velours protecteur et
                  agréable, mais une main prudente le retire de moi et disparaît avec lui dans une
                  pièce  voisine.  Je  suis  absolument  consciente  que  je  me  suis  plongée  dans
                  l'histoire d'une femme extraordinaire. Nous sommes à Ludwigsburg, invités par
                  la comtesse Wilhelmine de Grävenitz, maîtresse du duc Eberhard Ludwig von

                  Württemberg.

                  Les talons de mes chaussures résonnent au rythme de ma respiration sur le
                  parquet ciré de la salle de réception. Je me retrouve dans une salle de bal avec
                  un pianoforte dans le coin. Je suis contente qu'il soit là. Il a été récemment
                  inventé pour faire face aux innovations musicales de l'époque. Je me demande
                  s'il a été construit par Gottfried Silbermann d'après le modèle italien. Je sais que
                  Bartolomeo Cristofori a créé cette nouvelle forme d'instrument à Padoue, et
                  Ferdinando de Medici l'avait déjà en 1690. J'écoute de la musique… Les fugues
                  de  Bach  résonnent  dans  toute  leur  luminosité.  La  comtesse  Wilhelmina  de
                  Grävenitz m'accueille avec un sourire charmeur, laissant son éventail voltiger
                  avec coquetterie tel un oiseau exotique et multicolore qui se repose un court
                  instant, puis repart dans une nouvelle danse avec un battement d’ailes. Je sais
                  que cette femme charmante et intelligente maîtrise l’art de la séduction. Elle
                  utilise  habilement  son  éventail,  comme  toutes  les  femmes  de  la  cour,  en
                  attendant de rencontrer l'élu de son cœur. Même le petit grain de beauté présent
                  sur sa poitrine qui monte et descend montrant un décolleté généreux, est un
                  signal qui révèle son esprit libre. C'est son dîner. Elle nous accueille à l'entrée,
                  nous, invités d'une heure tardive, d'une source qui a enfin trouvé son chemin
                  vers les terres traversées par la rivière Neckar.











                                            Par Alexandre Migl-travail personnel, CC BY 4.0

                  Nous entrons dans l'une des salles du château de Ludwigsburg rénové et agrandi
                  à la demande de notre hôtesse.
                  Le Duc lui en fit cadeau.
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