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Dans une mésalliance, le partenaire d'un échelon social inférieur et les enfants
                  issus de ce lien n'avaient aucun droit d'héritage. Ces relations étaient également
                  appelées  «mariages  à  gauche»  (Ehe  zur  linken).  Probablement  depuis  le
                  protocole écrit ou non écrit de la société, la femme doit siéger à la droite du
                  mari, et celle reconnue par une union morganatique, à sa gauche. Cependant, la
                  duchesse avait accusé, avec succès, son mari de bigamie et l'empereur a expulsé
                  Wilhelmine de la cour en 1707. Avec amour, Eberhard Ludwig la suivit à Zurich
                  la même année, la ramenant dans sa suite, après l’avoir mariée avec un comte
                  bohème appauvri, qui avait à la fois cinq noms et 70 ans. Quel âge digne de
                  Mathusalem pour cette époque !
                  On se demande comment cette femme intelligente et séduisante a subi cette
                  relation, qui lui a donné à la fois un grand amour, du pouvoir politique et des
                  richesses, mais aussi beaucoup de souffrance ?

                  Wilhelmine  von  Grävenitz  nous  décrit,  alors  que  nos  petites  cuillères
                  s'enfoncent dans le dessert à base de semoule, de lait et de confiture de prune,
                  le tournant dramatique, hélas irréversible, de sa vie. La mort prématurée du seul
                  descendant du Duc en 1731 amena celui-ci à se réconcilier avec sa femme. Il
                  devait faire son devoir en donnant au duché un successeur légal.
                  L'éventail couvre brièvement la joue de la comtesse. Je l'entends raconter d'une
                  voix basse et triste: « Selon les conseils de son entourage, il m'a chassé, a pris
                  mes terres et m'a emprisonné pendant un an. Peut-être qu’au plus profond de
                  son âme, il se souciait un peu de moi, puisqu’au bout d'un an, il m’a rendue la
                  liberté  et  m'a  indemnisée  pour  mes  biens  perdus,  en  me  donnant  150  000
                  florins. En 1732, je me suis réfugié à Berlin… Mais parfois je reviens ici, sans
                  savoir  pourquoi,  juste  en  cette  année  1736,  l'année  où  mon  bonheur  s'est
                  éteint... l'année où mon amour n'est plus qu'une illusion... Cependant, je crois
                  qu'avec vous – vous assis à ma table, ayant goûté mes vins et apprécié les mets
                  de la cour de Wurtemberg - je retrouverai ma force spirituelle. »

                  Je me lève en saluant et en lui disant au revoir.
                  Elle m'accompagne quelques pas jusqu'à la porte…
                  Alors  que  le  vent  se  cache  dans  les  plis  de  son  manteau  encore  ouvert,  je
                  l'entends murmurer : « Oui, parfois j'espère que ceux qui m’ont écouté pourront
                  m'aimer… parce que, dis-moi: qu'est-ce qu'une maîtresse - même célèbre - si
                  elle a perdu son amour ? »








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