Page 53 - Le grimoire de Catherine
P. 53
49
JOURNAL INTIME D’UN ESCARGOT
Qu’il sentait bon, mon jardin dans l’ivresse de ses parfums
Ces parfums ont fui, happés par la spirale du temps qui passe
Ici commençait le bout du monde. Il suffisait de s’approcher de la fenêtre du grand
living-room, c’était là que j’habitais, tantôt tapi dans l’herbe drue, tantôt accroché à une
grande feuille de rhubarbe.
J’aimerais me présenter mais cela m’est difficile. J’ignore si je suis un garçon ou une
fille. Peu importe, je sais toutefois que je suis né un jour de pluie. En ce temps-là, je me
sentais solide, je me moquais de ma voisine, cette chrysalide qui attendait patiemment
de devenir une noctuelle, je ne m’imaginais pas non plus comme un éphémère et
espérais avoir la coquille coriace !
J’avais appris à gravir les hortensias tout en boule, les iris réclamant Van Gogh, les
petits choux nostalgiques de leur belle princesse autrichienne. Tous, le long du
monticule herbeux, m’acceptaient à la condition, bien entendu, que je ne sois pas trop
gourmand. Ils n’avaient rien à craindre de moi mais ne le savaient pas .Je gardais ma
faim pour une autre cérémonie plus importante à mes yeux.
En effet je m’étais fait une amie, une petite fille ! Un véritable feu follet ! Dés qu’elle
s’était libérée de l’école, elle arrivait, retournait chaque feuille. Dans son impatience il lui
arrivait parfois de déranger un ver de terre ventru. Elle me cherchait, me saisissait
délicatement puis me glissait dans un petit récipient et m’emmenait pour le voyage vers
l’Etang, ce monstre qui hantait mes rêves.
Elle me faisait tanguer, de bâbord à tribord. Nous prenions les chemins de traverse
délaissant l’allée de graviers trop sage pour enjamber les branchages odorants,
repères d’oiseaux craintifs qui s’envolaient, piaffant à notre passage. Nous célébrions
ainsi de concert les fins d’après midis. Dommage que je souffrisse toujours de la soif !
Qu’il pleuve, bon sang ! Comment implorer la déesse de la pluie ! Je me souvenais du
cliquetis des délicates gouttes, qui tintaient telles les notes du piano d’Eric Satie
égrenant toutes ses nuances d’après l’averse.
Et le vent qui jouait dans les cordes du violon, rien ne pouvait être plus émouvant !
J’apprécierais tant de sortir de ma coquille et d’explorer ce vieux jouet qui rouillait
tranquillement à l’abri du regard de l’étourdi qui l’avait un jour oublié.
Je profitais du panorama, de la mosaïque des couleurs de l’automne. Le camaïeu des
bruns caressait celui des verts déclinants. La vigne vierge déposait ses rouges
amarante, le noisetier hésitait encore entre le jaune et le cuivré. Le sapin était entré en
résistance.
Un paradis pour les peintres impressionnistes qui, le siècle précédant, s’en étaient
donné à cœur joie, dommage que d’aucuns n’aient pensé à fixer sur leurs toiles,
devenues si célèbres, l’ombre d’un de mes ancêtres.