Page 53 - Le grimoire de Catherine
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                                        JOURNAL INTIME D’UN ESCARGOT


              Qu’il sentait bon, mon jardin dans l’ivresse de ses parfums

              Ces parfums ont fui, happés par la spirale du temps qui passe


              Ici  commençait  le  bout  du  monde.  Il  suffisait  de  s’approcher  de  la  fenêtre  du  grand
              living-room, c’était là que j’habitais, tantôt tapi dans l’herbe drue, tantôt accroché à une
              grande feuille de rhubarbe.

              J’aimerais me présenter mais cela m’est difficile. J’ignore si je suis un garçon ou une
              fille. Peu importe, je sais toutefois que je suis né un jour de pluie.  En ce temps-là, je me
              sentais solide, je me moquais de ma voisine, cette chrysalide qui attendait patiemment
              de  devenir  une  noctuelle,  je    ne  m’imaginais  pas  non  plus  comme  un  éphémère  et
              espérais avoir la coquille coriace !

              J’avais  appris  à  gravir  les  hortensias  tout  en  boule,  les  iris  réclamant  Van  Gogh,  les
              petits  choux  nostalgiques  de  leur  belle  princesse  autrichienne.  Tous,  le  long  du
              monticule herbeux, m’acceptaient à la condition, bien entendu, que je ne sois pas trop
              gourmand. Ils  n’avaient rien à craindre de moi mais ne le savaient pas .Je  gardais  ma
              faim pour une autre cérémonie plus importante à mes yeux.

              En  effet  je  m’étais  fait  une  amie,  une  petite  fille !  Un  véritable  feu  follet !  Dés  qu’elle
              s’était libérée de l’école, elle arrivait, retournait chaque feuille. Dans son impatience il lui
              arrivait  parfois    de  déranger  un  ver  de  terre  ventru.  Elle  me  cherchait,  me  saisissait
              délicatement puis me glissait dans un petit récipient et m’emmenait pour  le voyage vers
              l’Etang, ce monstre qui hantait mes rêves.
              Elle  me  faisait  tanguer,  de  bâbord  à  tribord.  Nous  prenions  les  chemins  de  traverse
              délaissant    l’allée  de  graviers  trop  sage  pour  enjamber  les  branchages  odorants,
              repères d’oiseaux craintifs  qui s’envolaient, piaffant à  notre passage. Nous célébrions
              ainsi de concert les fins d’après midis. Dommage que je souffrisse toujours de la soif !

              Qu’il pleuve, bon sang ! Comment implorer la déesse de la pluie ! Je me souvenais du
              cliquetis  des  délicates  gouttes,  qui  tintaient  telles  les  notes  du  piano  d’Eric  Satie
              égrenant toutes ses nuances d’après l’averse.

              Et  le  vent  qui  jouait  dans  les  cordes  du  violon,  rien  ne  pouvait  être  plus  émouvant !
              J’apprécierais  tant  de  sortir    de  ma  coquille  et  d’explorer    ce  vieux  jouet  qui  rouillait
              tranquillement à l’abri  du regard de l’étourdi qui  l’avait un  jour oublié.
              Je profitais du panorama, de la mosaïque des couleurs de l’automne. Le camaïeu des
              bruns  caressait  celui  des  verts  déclinants.  La  vigne  vierge    déposait  ses  rouges
              amarante, le noisetier hésitait encore  entre le jaune et le cuivré. Le sapin était entré en
              résistance.

              Un  paradis  pour  les  peintres  impressionnistes  qui,  le  siècle  précédant,  s’en  étaient
              donné  à  cœur  joie,  dommage  que  d’aucuns  n’aient  pensé  à  fixer  sur  leurs  toiles,
              devenues si célèbres, l’ombre d’un de mes ancêtres.
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