Page 55 - Le grimoire de Catherine
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LA DISCRETE
Elle a dû naître un jour de tempête, en plein automne, un trente novembre dans un
foyer construit à la va- vite trois mois auparavant par deux adolescents d’à peine dix
huit ans. Elle était ainsi légitime, sa grand- mère, veuve de guerre, lui avait très
certainement sauvé la mise. On ne badine pas avec l’honneur !
La voilà, jeune enfant de deux grands enfants. C’est peut-être pour cela qu’elle a
décidé, ce jour –là de se faire discrète. Elle ne parlera jamais de son enfance. Sur les
photos elle apparait, bien habillée, entourée de tantes et oncles dont elle semble être
aimée, choyée.
Elle n’évoquera jamais ni son père ni sa mère. On ne lui connait qu’une seule
passion, friser, friser, tout ce qui est « frisable ». Tout y passe crin de balai, effilé de
serviettes de toilette…
J’imagine la tête des poupées mais en avait-elle ? Si je m’en réfère encore aux photos
elle n’avait qu’un baigneur, ce gros bébé joufflu en celluloïd aux cheveux peints.
Aussi celui-là, au moins, échappa au pire ! Des témoins disent qu’elle était jolie mais
qu’elle ne le savait pas. Peut-être aurait-il fallu que son père ou sa mère l’a valorise
ainsi, la discrète n’a jamais évoqué leurs échanges.
Elle voulait être coiffeuse et commença à apprendre ce métier quand la guerre
commença provoquant l’exode. La famille partit un temps dans le Périgord mais cet
épisode ne fut jamais raconté.
De retour dans le village, elle manqua de disparaitre en août 1944 échappant de
justesse à une rafale de mitraillette allemande. Ce jour –là, une compagnie de SS
réglait ses comptes sur quelques résistants. Son père récupéra un vieil homme
victime d’une balle perdue.
Il ne pouvait sortir sans risquer d’être raflé à son tour aussi l’envoya t-il chercher de
quoi donner les premiers soins au blessé. Elle sortit en courant, vêtue d’un pantalon
et avait les cheveux courts. Le soldat la mit en joue puis se raviva s’apercevant
qu’elle ne s’agissait que d’une jeune fille effrayée !
Un jeune homme, victime du STO, avait dû se réfugier à la campagne et là, elle ne
tarda pas à le trouver bien sympathique, différent des autres, avec sa tignasse rousse
et ses pitreries. Lui n’était pas non plus indifférent à cette jeune fille toujours
pimpante, la jeune coiffeuse à la blouse blanche, immaculée.
Il la surnomma « bigoudi », ce secret sera découvert plus tard, au dos d’une photo
qu’il lui avait offerte. Ils tombèrent amoureux, se marièrent mais n’eurent qu’un enfant.
Il faut bien ne pas respecter toutes les règles édictées dans les contes !
Elle s’installa dés lors dans son petit palais de la coiffure. On en franchissait la porte à
la belle saison, en écartant délicatement les bouquets de fleurs de capucines à
l’orange explosif. Après la vue, c’était au tour de l’odorat d’être comblé .L’odeur de
l’huile de ricin se mêlait à celle de l’héliotrope, pour être couverte par celle de l’œillet !
Toutes les dames voulaient des cheveux ondulés, permanentés. Elles les voulaient