Page 59 - Le grimoire de Catherine
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LE FAIT DU PRINCE …
Je m’appelle Pierre B. et je suis metteur en scène. Je suis né dans ce monde du
show-business et ai toujours été sûr que je réussirai dans ce domaine. Je suis bien
fait de ma personne et d’un naturel taiseux. Pourquoi tenir des discours puisque tant
d’auteurs fabuleux ont écrit avant moi. La littérature c’est bien, mais ce qui encore
mieux, c’est de lui donner vie par l’intermédiaire du cinéma ou du théâtre.
J’ai peu d’amis car je ne veux pas perdre mon temps à des diatribes et des
divagations, je veux réussir, être célèbre, j’ai décidé d’être élitiste. Quelques
personnes m’accompagnent parfois pour un petit bout de chemin, espérant peut-être
être connues quand je serai devenu incontournable dans le métier.
Jusqu’à maintenant j’ai réalisé quelques films achetés à petit prix par des chaînes
débutantes au public restreint et surtout insomniaque.
J’ai puisé dans le répertoire des histoires accessibles à tous, contant la vie du XIX
EME siècle en province baignant dans l’alcoolisme et décrivant des filles de ferme
maltraitées. Il suffisait de choisir un paysage normand ou provençal, d’y mettre
volailles et cochons, quelques acteurs, un vieillard chenu, une jeune fille bien en
chair, un garçon d’écurie chétif et le tour était joué.
Avec le temps la facilité n’est pas une compagne très agréable et l’ennui a commencé
son travail de sape, l’ennui gagnait du terrain.
Pourtant ce long travail finit par porter ses fruits. Peut-être qu’Aphrodite, déesse de
l’Amour et des Plaisirs, à l’ouïe fine, entendit mes soupirs. Figurez-vous que l’on vient
de me proposer un poste de metteur en scène dans une ville antique proche de la
Méditerranée !
Son théâtre romain vient d’y être restauré et pour son inauguration on prévoit une
pièce somptueuse « Le Prince de Hombourg ».
La voix céleste de Gérard Philipe chante face à la mort « Maintenant, immortalité tu
m’appartiens toute entière… » ! Je ne peux reculer, je ne suis pas Jean Vilar mais il
est des œuvres immortelles. Le défi est de taille. Une telle occasion ne se représentera
pas. J’ose !
Jour après jour, je lis, je relis, je me transforme, tantôt en grand électeur de
Brandebourg, avec le comte de Hollenzollen, général de cavalerie, puis en prince de
Hombourg. Je deviens ce héros déchu, atteint de somnambulisme.
J’entre dans le lyrisme. Je finis par connaître toutes les répliques, je ne laisse rien au
hasard, costumes, décors…
Le prince doit être intemporel, il doit atteindre l’évanescence. Pourtant me voila face à
un paradoxe. Ce petit cousin d’Hamlet, bien qu’héros n’est pas très loin de nous, qui
pouvons, nous aussi désobéir, avoir peur de la mort puis finir par l’accepter. Il nous
entraine dans le monde de la rêverie pour nous ramener brusquement dans la
réalité.