Page 46 - DIVA_4_2022
P. 46
Murillo et les légendes de Séville
par Jean Michel Wissmer
Manuel Cabral
Aguado Bejarano
: La Chute de
Murillo (1862),
Musée des Beaux-
Arts de Cadix
Les églises et les musées de Séville abritent de
nombreuses œuvres de Bartolomé Estebán Mu- Il existe tant de versions de ce thème que l’on
rillo (1617-1682), un peintre qui a fait toute sa oublie parfois que Murillo est aussi l’auteur de
carrière dans cette magnifique capitale de l’An- magnifiques portraits, de scènes bibliques et
dalousie, riche de légendes. de scènes de genre où figurent de jeunes en-
fants pauvres, reflets d’une Espagne miséreuse
Très tôt orphelin de ses parents Murillo fut et picaresque en plein Siècle d’Or.
recueilli par un chirurgien-barbier, un métier
qu’exerçait également son père. Cette curieuse Il y a un lieu très particulier à Séville : l’Hôpi-
association – qui aimerait être opéré par son tal de la Charité où se trouvent plusieurs
barbier ? – était pourtant courante dans l’Es- œuvres de Murillo dont une magnifique
pagne du XVIIe siècle. Rappelons que c’était Multiplication des pains et des poissons.
également le métier du père de Cervantès qui, On y découvre aussi les fameuses vanités de
en hommage à son père ou par dérision, af- Juan de Valdès Leal, un autre grand peintre
fublera son don Quichotte d’un plateau à bar- baroque sévillan, des œuvres qui font froid
be en lieu et place d’un heaume. Autre point dans le dos – on y voit un évêque rongé par
:
commun comme Cervantès, Murillo sou- les vers – et qui sont autant d’avertissements
haita partir pour les Indes en quête d’une vie de notre fin inéluctable et qui devraient nous
meilleure et de nouvelles opportunités, mais inciter à la pénitence et, précisément, à la
pour l’un comme pour l’autre, le projet ne se charité. Cet hôpital pour les déshérités a été
réalisa pas; heureusement d’ailleurs, car nous créé par Miguel Mañara, afin, dit-on, d’expi-
serions alors orphelins de Don Quichotte. er son passé de coureur de jupons colérique
et bagarreur. La légende raconte qu’il aurait
Le tuteur barbier encouragera la carrière ar- croisé un jour son propre enterrement ce qui
tistique du jeune Bartolomé Estebán qu’il l’aurait conduit à une conversion radicale.
placera d’un l’atelier d’un peintre. Murillo fut, Mais il fut surtout bouleversé par la mort de
comme Francisco de Zurbarán, l’un des pein- sa femme en 1661, un événement qui l’aver-
tres préférés des ordres religieux. Il est d’ail- tissait qu’une fin dernière peut nous surpren-
leurs surtout connu pour ses Vierges au visage dre à tout moment. On a longtemps considéré
doux et entourées d’angelots. Elle est toujours Mañara comme le modèle du personnage de
représentée comme décrite dans l’Apoca- don Juan, ce qui semble incompatible sur un
lypse de Saint-Jean, debout sur un croissant plan chronologique d’après les spécialistes.
de lune, mais pas couronnée d’étoiles et sans Mais les légendes ont la vie dure et celle-ci
la présence du serpent, innovant ainsi par fera le miel de l’écrivain romantique Prosper
rapport à l’iconographie habituelle. Baignée Mérimée, friand d’espagnolades, quand il
d’une lumière divine, les mains croisées sur la écrira Les Âmes du Purgatoire, une réécriture
poitrine, la Vierge regarde vers le ciel dans un imaginaire de la vie de Mañara qui, en assis-
élan dynamique. tant à une représentation du Don Juan de Tir-
46 W W W . D I VA I N T E R N A T I O N A L . C H