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Murillo et les légendes de Séville



              par Jean Michel Wissmer






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                                                                                             Aguado Bejarano
                                                                                             : La Chute de
                                                                                             Murillo (1862),
                                                                                             Musée des Beaux-
                                                                                             Arts de Cadix






                               Les églises et les musées de Séville abritent de
                               nombreuses œuvres de Bartolomé Estebán Mu-  Il existe tant de versions de ce thème que l’on
                               rillo (1617-1682), un peintre qui a fait toute sa  oublie parfois que Murillo est aussi l’auteur de
                               carrière dans cette magnifique capitale de l’An-  magnifiques portraits, de scènes bibliques et
                               dalousie, riche de légendes.           de scènes de genre où figurent de jeunes en-
                                                                      fants pauvres, reflets d’une Espagne miséreuse
                               Très tôt orphelin de ses parents Murillo fut  et picaresque en plein Siècle d’Or.
                               recueilli par un chirurgien-barbier, un métier
                               qu’exerçait également son père. Cette curieuse  Il y a un lieu très particulier à Séville : l’Hôpi-
                               association – qui aimerait être opéré par son  tal de la Charité où se trouvent plusieurs
                               barbier ? – était pourtant courante dans l’Es-  œuvres de Murillo dont une magnifique
                               pagne du XVIIe siècle. Rappelons que c’était  Multiplication des pains et des poissons.
                               également le métier du père de Cervantès qui,  On y découvre aussi les fameuses vanités de
                               en hommage à son père ou par dérision, af-  Juan de Valdès Leal, un autre grand peintre
                               fublera son don Quichotte d’un plateau à bar-  baroque sévillan, des œuvres qui font froid
                               be en lieu et place d’un heaume. Autre point  dans le dos – on y voit un évêque rongé par
                                       :
                               commun comme Cervantès, Murillo sou-   les vers – et qui sont autant d’avertissements
                               haita partir pour les Indes en quête d’une vie  de notre fin inéluctable et qui devraient nous
                               meilleure et de nouvelles opportunités, mais  inciter à la pénitence et, précisément, à la
                               pour l’un comme pour l’autre, le projet ne se  charité. Cet hôpital pour les déshérités a été
                               réalisa pas; heureusement d’ailleurs, car nous  créé par Miguel Mañara, afin, dit-on, d’expi-
                               serions alors orphelins de Don Quichotte.  er son passé de coureur de jupons colérique
                                                                      et bagarreur. La légende raconte qu’il aurait
                               Le tuteur barbier encouragera la carrière ar-  croisé un jour son propre enterrement ce qui
                               tistique du jeune Bartolomé Estebán qu’il  l’aurait conduit à une conversion radicale.
                               placera d’un l’atelier d’un peintre. Murillo fut,  Mais il fut surtout bouleversé par la mort de
                               comme Francisco de Zurbarán, l’un des pein-  sa femme en 1661, un événement qui l’aver-
                               tres préférés des ordres religieux. Il est d’ail-  tissait qu’une fin dernière peut nous surpren-
                               leurs surtout connu pour ses Vierges au visage  dre à tout moment. On a longtemps considéré
                               doux et entourées d’angelots. Elle est toujours  Mañara comme le modèle du personnage de
                               représentée comme décrite dans l’Apoca-  don Juan, ce qui semble incompatible sur un
                               lypse de Saint-Jean, debout sur un croissant  plan chronologique d’après les spécialistes.
                               de lune, mais pas couronnée d’étoiles et sans  Mais les légendes ont la vie dure et celle-ci
                               la présence du serpent, innovant ainsi par  fera le miel de l’écrivain romantique Prosper
                               rapport à l’iconographie habituelle. Baignée  Mérimée, friand d’espagnolades, quand il
                               d’une lumière divine, les mains croisées sur la  écrira Les Âmes du Purgatoire, une réécriture
                               poitrine, la Vierge regarde vers le ciel dans un  imaginaire de la vie de Mañara qui, en assis-
                               élan dynamique.                        tant à une représentation du Don Juan de Tir-



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