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destin au vu des évolutions (notamment technologiques et culturelles) du monde ?
Comment t’arranges-tu de marier cette croyance forte qui te tient aux tripes avec le fin
scepticisme et le sens du devenir que t’ont justement inculqués ta carrière de doctus
pictor (Alberti) et un regard bienveillant mais sans illusion sur le cours des choses
humaines ?
Il est clair à mes yeux que Patrick Moquet n’est pas tombé par hasard sur la fameuse
performance. Bien sûr il la connaît depuis longtemps, mais c’est maintenant seule-
ment – à ce stade précis de l’évolution de son travail et des interrogations qu’elle
emporte – qu’il trouve bon de s’en inspirer. Pourquoi ? Je le répète : ce n’est pas un
règlement de compte et le peintre Moquet n’entend pas jouer les redresseurs de tort
afin de venger la peinture moquée. J’irai plus loin : je flaire une connivence, une sorte
de camaraderie entre la parodie et le pastiche : l’exercice détendu d’un droit de suite.
Voyons comment.
Au risque d’un rien de schématisme, je pose que l’ironie est l’essence de la parodie.
Soit un personnage, une situation, une œuvre – le parodiste s’emploie à les contre-
faire ; il reprend plusieurs traits qu’il pousse à la caricature. La parodie est une imi-
tation doublée d’un travestissement. McCarthy se livre t-il à une satire de l’expres-
sionnisme abstrait américain ? Sans doute. Se moque t-il de la Peinture ? Peut-être
(je n’en suis pas sûr). Comment procède t-il ? Par un transfert total du geste sensé et
conséquent (construit) de peindre à ses emblèmes stéréotypés : il passe de la finalité
aux moyens, en l’espèce aux instruments (la surface, les mains, le pinceau, les tubes
et pots de couleur, la blouse). Plus la peinture se trouve ainsi extériorisée, plus elle
paraît perdre sa signification ; cette bascule se traduit par une agitation absurde. Qui
plus est : extériorisation égale grossissement. C’est le côté swiftien, dans ce cas, de
la parodie. La peinture est « gulliverisée ». Archi-présente (jusqu’à l’encombrement)
dans son appareil déserté, elle est aussi absente à elle-même. Elle est déniée dans
sa suraffirmation même et son protocole s’est affolé. Le voici – mais décérébré, tel le
canard qui court comme à la poursuite de sa tête coupée. Plus on vous montre des
tubes et des pots et plus on vous invite à entrevoir que la peinture vient de jouer la
fille de l’air. La parodie est toujours empreinte de négativité, en quoi elle est bien,
comme l’a justement observé Fredric Jameson, d’esprit moderniste. Paradoxalement,
il y a quelque relent de sérieux dans la parodie, celui que porte avec elle la négation.
Parodier signifie toujours critiquer.
L’Art de la peinture critique t-il cette critique ? Oui et non. Oui, au sens où la série pic-
turale tripartite décortique, anatomise la vidéo : les images sont détachées comme
pour être regardées de plus près. Être regardées de plus près ? Comprenez : peintes !
La peinture agit comme une radioscopie opératoire : mieux voir des symboles de
peinture revient à faire des images en peinture. À prendre « critique » au sens d’
« analyse », L’Art de la peinture est la meilleure analyse de Painter qui se puisse trou-
ver sur le marché. Voici donc une vidéo analysée par une peinture ! Il faut le faire !
Et il n’existe pas d’analyse qui n’implique une certaine sympathie avec l’objet ainsi
réfléchi. Ce que j’appelais le « droit de suite » n’est rien autre chose que ce prolonge-
ment, cette arborescence picturale (les toiles sont les branches, les papiers les feuilles,
les boîtes bourgeonnent) qui a dû donner de la jouissance à son auteur autant qu’elle
procure du plaisir à nous spectateurs. Donc : critique, oui – si l’on me suit dans cette
idée d’exploration minutieuse, d’exploitation picturale de traits invus (ou moins vus)
de la vidéo. Mais, non – si l’on imagine que la série se dresse sur ses grands chevalets
pour narguer le pantin acromégalique !
L’Art de la peinture est en vérité un pastiche. La différence avec la parodie ? Celle-ci
a un contentieux (d’où le sérieux, même dans le comique, de cette restauration d’un