Page 10 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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établi par la pensée est ferme et définitif, échap- pant au mouvement. C’est pourquoi Parménide va jusqu’à dire que c’est une même chose que penser et être : « L’être est, le non-être n’est pas », sachant qu’est assimilé à du non-être tout ce qui ne peut pas être fixement établi par la pensée – le mouvement, le devenir, le changement. À partir de là, son disciple Zénon d’Élée (v. 490- v. 430 av. J.-C.) aura beau jeu de montrer que le mouvement n’est qu’une apparence, qu’il n’est pas véritablement, parce qu’il ne peut être pensé sans que cela conduise à des paradoxes – les fameux paradoxes de Zénon d’Élée sur le mouve- ment, dont Bergson débattra plus de deux millé- naires plus tard, en s’employant à les réfuter, débat suivi avec intérêt par Jankélévitch 1.
Contrairement à Parménide, un autre philo- sophe présocratique, Héraclite d’Éphèse (v. 544- v. 480 av. J.-C.), soutient que rien n’est parfaite- ment stable ni ne peut l’être, pas même la pensée (logos, en grec), qui fait partie du monde et est une petite partie du Logos divin qui nous a été échue en partage par Zeus. Ce dernier gouverne sur un monde en mouvement en veillant à ce que
1. Voir son Henri Bergson, PUF, 1933, qui commente les passages de Bergson relatifs à ce sujet (qu’on trouve déve- loppés par exemple dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience [1889], GF-Flammarion, 2013, p. 134 sq.).