Page 11 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 11
le Feu éternel du devenir ne s’éteigne jamais, même si son flux et son reflux ramènent des choses semblables sur le rivage (veille et sommeil, jour et nuit, cycle des saisons). Le seul repos que peut connaître la pensée du sage est celui par lequel il s’élève au-delà de son individualité pour comprendre qu’il fait partie d’un ordre sempiter- nel qui le dépasse, qui a toujours été et sera tou- jours : « Ce monde-ci, le même pour tous, nul des dieux ni des hommes ne l’a fait. Mais il était tou- jours, est et sera, feu éternel s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure 1. » Ainsi, celui qui, en lisant Héraclite, comprend que ce n’est pas lui qui parle, mais le Logos éternel à travers lui, convien- dra avec sagesse que tout ce qui est fait partie de la grande symphonie du devenir.
À partir de cette opposition frontale entre Par- ménide et Héraclite, on peut aller jusqu’à dire que l’histoire de la philosophie se scinde en deux lignées généalogiques distinctes : d’une part, une philosophie de l’être (ontologie), qui donne le primat à la pensée plutôt qu’au corps et à la vie, à la théorie relativement à la pratique, à l’espace plutôt qu’à la durée ; d’autre part, une philoso- phie du devenir qui renverse les privilèges de la pensée et se veut une philosophie concrète. C’est
1. Héraclite, fragment B30, in Les Écoles présocratiques, op. cit., p. 73, ponctuation modifiée.
 






























































































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