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Ces temps-ci, les courriers ne fonctionnent pas très bien. Je suis resté sans nouvelles de vous pendant 10 jours... Vous me dites que le cousin Joseph Plagnal doit aller vous voir. Vous me direz son opinion au sujet de l’Armée d’Orient. Pour ce qui est des balles et des obus, on ne risque pas grand-chose. Le plus à craindre, ce sont les maladies. Et ici, elles sont dangereuses. On peut en mourir très facilement.
6 décembre 191 : Je suis de nouveau sur la ligne du front. Mais je vous assure que pour y arriver, on a eu de la peine. On a mis 4 jours. Il y a au moins 50 cm de neige. Et le plus pénible, c’est la tourmente. Ca vous étouffe. 12 hommes sont morts de froid, et je ne sais combien ont dû être évacués ! Aujourd’hui, 8 muletiers de ma compagnie ont été évacués pour pieds gelés. Depuis deux mois, c’est pire que les obus sur le front en France.
3. La campagne de Joseph Roure
Du 16 juillet au 26 juillet, étapes journalières à pied avec bivouac la nuit puis déplacement par train jusqu’à Ostrovo puis de nouveau à pied vers Monastir et le front par étapes, du 27 juillet au 1er août :
« 24 et 25 juillet : Le 25, étape de 32 km. Au fur et à mesure que l’on s’approche des tranchées on nous fait marcher que la nuit. »
En août, il découvre à nouveau la vie de tranchées et les bombardements d’artillerie qu’il va supporter pendant plus de six mois dans une zone montagneuse dépassant les 2 000 mètres : il est soumis au froid et à la neige, astreint à une alternance de six jours en première ligne en altitude, suivis de six jours au repos aux abords de Monastir.
« 2 août : Nous arrivons à 2 h du matin et relevons le 175ème. On a pris une bonne suée à la montée, 1 000 mètres d’altitude. Secteur assez calme. On la saute et dorénavant une seule fois la soupe, le soir, à la nuit. Ce sont des mulets qui apportent le ravitaillement
et 4 août : La vie de tranchée recommence. La soupe arrive à une heure du matin. Dans la journée, boite de singe à 3. On la saute. Pas de lettres qui sont longues à trouver les nouveaux secteurs. Pauvre Armée d’Orient.
21 août : On la saute toujours ! Heureusement le café et le quart de pinard arrivent sans quoi on sécherait comme les piquets qui tiennent les barbelés.
Du 1er au 5 octobre : On est relevé et on redescend au Dragor (la rivière).
Du 19 octobre au 24 octobre : Séjour en lignes soumis à des bombardements sévères. Les tranchées
Joseph Roure, né en 1869, contremaître dans un moulinage près de Privas, est mobilisé le 2 août 1914 au 61ème RI. Il participe à tous les engagements de ce régiment, en 1914 lors de la bataille de Lorraine puis de la Marne, en 1915 dans les tranchées de la Meuse et de l’Argonne et en 1916 lors des combats de Verdun.
En décembre 1916, sa division est désignée pour le front de Salonique. Fin janvier 1917, il embarque sur le Lutetia en route pour Salonique, avec une mer dif cile et le mal de mer !
« 25 janvier 1917 : On nous embarque sur un gros et beau bateau, le Lutetia, croiseur auxiliaire qui fait le service Toulon - Salonique.
8 janvier : Je souffre du mal de mer. Durant la journée il y avait 70% de malades à bord.
30 janvier : Je me réveille en bon état. On commence à voir les montagnes de la Grèce. A 14 h on met pied à terre en ville de Salonique. On rigole par force en voyant tous ces camelots nous proposer des gâteaux, de la morue, des mandarines. »
Il débarque à Salonique et y séjourne jusqu’au 16 juin, hébergé dans un camp de toile, sous la pluie. Il souffre d’une attaque de gale, peu occupé par des travaux, le service de Place et des visites de la ville cosmopolite de Salonique.
« 3 février : Il pleut toute la journée. Le matin on essaie d’assécher notre camp. Le soir ça tombe dru mais on a fait creuser sous la tente et on ne se mouille presque plus. »
Affecté en renfort comme sergent au 40ème RI, il rejoint son régiment en ligne à Monastir par étapes.
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018
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8 décembre 1917 : Mes engelures ne se sont pas aggravées... C’est terrible de devoir marcher presque tous les jours. Faire 20 km, en tirant un mulet par le mors, et sur des chemins où il y a plus d’un mètre de neige à certains endroits. Ici, personne ne s’occupe de vous. On peut très bien mourir en route !
1 avril 1918 : Je suis toujours le mouvement des troupes et je ne m’en fais pas trop. Comme cela jusqu’à la n, c’est tout ce qu’il faut.
3 avril 1918 : Quant à moi... on m’a mis à la bonne place cette fois-ci. Je ne suis peut-être pas plus à l’abri qu’auparavant.
Mais, au moins, je ne monterai plus en 1ère ligne, et surtout dans ces neiges... A présent, il faut vivre avec le paludisme. Personne n’en est exempt. On le prend de toutes les manières. »