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Enveloppe d’une lettre envoyée, en 1917, par un ouvrier chinois employé à l’usine Horme et Buire du Pouzin (15)
Des relations avec la population et les employeurs ennuagés
Loin d’être apaisées, celles-ci furent souvent placées sous les signes de la dé ance et de l’inféodation. En guise d’illustration, citons le journal La Croix de l’Ardèche qui signalait, le 31 mars 1918, avec des termes révélateurs, « un arrivage jaune ». Et de fait, une équipe de vingt Chinois en provenance d’Arques- la-Bataille (16) venait de prendre leurs quartiers à Vals-les-Bains pour travailler dans l’usine de soie La Viscose. Ils furent logés à la Villa des Fleurs où, dit-on, ils vivaient en communauté. Dans le même entre let, on leur reprochait leur trop grande consommation d’œufs, qui avait eu, soi-disant, pour effet néfaste de faire monter le cours à trois francs la douzaine, au grand dam des ménagères autochtones... Un peu plus tard, pour quali er l’épidémie qui frappait l’Europe, on lancera les expressions « grippe ou èvre chinoises » en imputant la propagation de la maladie aux coolies (17) qui méconnaîtraient les notions élémentaires de
propreté et d’hygiène (18). Le regard porté sur cette main-d’œuvre était clairement racialiste et empreint de colonialisme. On parlait de travailleurs exotiques, de sujets chinois. On leur con ait des travaux pénibles et en cas de protestation, ils présentaient l’avantage d’être révocables ad nutum.
A ce propos, les conditions de travail dif ciles qu’on leur imposait poussèrent certains groupements à faire valoir leurs droits et à manifester leur mécon- tentement. A Saint-Barthélemy-le-Plain, on se souvient qu’une centaine de Chinois étaient à l’ouvrage sur un chantier de terrassement de grande ampleur, le chan- tier du barrage hydro-électrique sur le Doux, au lieu- dit « La percée de Clozel ». Les équipes de terrassiers, constitués de prisonniers de guerre allemands et de travailleurs chinois rendaient praticables les chemins d’accès aux chantiers de captation des eaux. Un labeur harassant, insupportable pour au moins trente-et-un de ces derniers (19) qui enclenchèrent une grève, du 30 juin au 31 juillet 1917, avec pour objectif de changer de
15. L’ouvrier en question portait le matricule 9825. Une circulaire de 1918 rappelait qu’il fallait désigner ces hommes en tout premier lieu par leurs numéros matricules puis ensuite par leur nom et prénom gurant sur leur che matricule. Ceux-ci étaient parfois des noms d’emprunt.
16. Dès avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, on avait eu recours en France à la main d’œuvre chinoise. A l’ins- tigation de Li Yu-ying, ces hommes avaient été employés dans une fabrique de soja à La Garenne-Colombes et à partir de 1913, une cin- quantaine de travailleurs chinois avaient été embauchés dans une usine de soie arti cielle à Arques-la-Bataille. Li Yu-ying, formé à l’école d’agriculture de Montrais, à la Sorbonne et à l’Institut Pasteur, fut un soutien nancier de Sun Yat-sen, imagina le mouvement travail-étu- des avant de lancer, en 1914, le premier restaurant chinois à Paris.
Paul. J. Bailey, « Discipline, Resistance et Face: le cas des Huagong (travailleurs chinois d’outre mer) durant la Première Guerre mon- diale en France » in Les travailleurs chinois en France durant la Première Guerre mondiale sous la direction de Li Ma, CNRS éditions, 2012, p. 280.
17. Terme issu du mot kuli signi ant en hindustani « travailleur portant un lourd fardeau ».
18. Le Monde illustré du 9 novembre 1918.
19. Une large part du reste du contingent chinois préféra se faire porter malades. AD07, 10 M 82 : rapport de la direction du travail
daté du 28 août 1917.
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 30