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Pour ceux qui restent (La Gerbe septembre 1918)
« C’est un spectacle consolant de revoir, encore aujourd’hui, se réunir ces groupes, où vos aînés venaient, comme vous, s’instruire, par l’étude, des vérités de la religion, approfondir les obligations de la piété, se préparer à l’action.
  Vous savez que ces mots de Piété, Etude, Action, constituaient la devise de l’Association Catholique de la Jeunesse Française dont vous n’avez pas oublié les magni ques congrès d’avant la guerre. Vous n’avez pas oublié non plus que cette devise a été  èrement portée et pratiquée par vos frères que la guerre vous a enlevés. Il vous est impossible de vous souvenir d’eux, sans vous remémorer, en même temps, l’exemple qu’ils vous ont laissé. Hélas ! Beaucoup d’entre eux ne reviendront pas. Mais ils demeurent présents dans notre cœur et parmi vous. Nous restons sans cesse en communication avec eux par la prière et par la pensée. Ils vous aideront dans l’œuvre de Piété, d’Etude, d’Action que vous leur devez de continuer ici-bas.
Les autres de nos camarades sont au front, ou à la caserne. Eux, qui sont éloignés du pays natal, ils songent souvent au village, à la terre, aux êtres chers qu’ils y ont laissés. Ils se demandent peut-être avec inquiétude si les moissons - et tous les travaux de l’agriculture si pénibles dans nos montagnes - se seront faits sans eux. Peut-être aussi se demandent-ils ce qu’est devenu le cercle d’étude, la vie du groupe et toute cette œuvre de la Jeunesse Catholique qu’ils avaient si bien commencée avant la guerre. Et ils se disent que vous êtes là, vous, les plus jeunes et les plus faibles, que vous les remplacerez avec l’aide de vos parents, pendant la durée de la guerre, que vous faites des efforts parfois surhumains, des efforts au-dessus de votre âge pour que le travail des champs puisse continuer, pour que les terres ne restent pas en friche, pour que le pays ne manque pas des produits essentiels de l’agriculture, sans lesquels tous ses habitants mourraient de faim. Ils se disent aussi - car l’homme ne vit pas seulement de pain - ils se disent que vous les remplacerez dans la vie spirituelle de la paroisse, à l’église, au cercle, au foyer, et que le groupe qu’ils ont eux-mêmes contribué à fonder et à soutenir, ne mourra pas, en leur absence, puisque vous êtes là.
Ce serait bien dommage si, par négligence ou par lassitude, vous laissiez perdre les fruits de leurs exemples. Mais qui ferait pareille supposition vous connaîtrait bien mal. Sans faiblesse, comme sans faux amour-propre, vous continuerez à la sueur de votre front la tâche matérielle de vos aînés.
Vous continuerez aussi leur œuvre de Piété, d’Etude, d’Action jusqu’à ce qu’ils soient revenus, et après leur retour.
Pendant et après la guerre,  dèles à votre village et à vos montagnes, vous resterez des paysans dans toute la force, dans toute la noblesse de ce mot. Vous résisterez à la séduction de la ville, dont les appâts trompeurs ne cachent bien souvent que la misère et la maladie. Vous resterez aussi des catholiques, c’est-à-dire des hommes de foi et de prière. La France aura besoin de vous plus que jamais. Et la France, vous le savez, mes chers amis, c’est la réunion de nos régions et de nos campagnes, c’est donc notre beau et cher pays du Vivarais.
L. Pize
du groupe de Lalouvesc. »
Louis Pize n’est déjà plus dans la guerre, il pense à l’avenir, à la responsabilité de « ceux qui restent » pour redresser le pays, la paroisse mais n’oublie pas ses camarades morts au combat :
« Quand le vent de novembre assiège les fenêtres Le murmure de vos noms dans le jour qui s’éteint Qu’êtes-vous devenus ? Je songe à tant de lettres Que n’apporteront plus les retours du matin ».
Extrait de « Nocturne » in Compagnons du Souvenir.
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 52






















































































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