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A La Louvesc, le discours de l’orateur brillant qu’est Hyacinthe de Gailhard-Bancel impressionnera le jeune garçon (4) et le conduira quelques années plus tard à adhérer à l’Action Catholique de la Jeunesse Française (ACJF) et à créer un groupe à Pailharès, berceau de sa famille maternelle, où il réside désormais avec ses parents revenus en Ardèche. « Il est certain, dira-t-il plus tard, que je dois à l’impression faite par M. de Gailhard-Bancel sur mon esprit d’enfant une large part de ma vocation politique ». Celui-ci restera l’un des maîtres à penser de Xavier Vallat.
Adolescent, il suit les cours du petit séminaire de Vernoux avant de poursuivre des études de Lettres à Aix-en-Provence. A partir de 1911, il enseigne dans un collège catholique d’Aix où, dira-t-il, « Charles Maurras avait fait ses humanités trente ans plus tôt... » (5). De fait, Xavier Vallat est lecteur de L’Action française dès 1908 (6). Il se rapprochera plus encore du mouvement après la guerre, jusqu’à ce que celui-ci soit condamné par le pape Pie XI en 1921 ce qui troublera Xavier Vallat dans son système de pensée ; il restera dans l’entre-deux-guerres et au- delà un proche de Charles Maurras qu’il appellera volontiers dans sa correspondance « Mon cher maître » et parfois « Mestré », les deux hommes, proches du félibrige, parlant couramment le provençal.
De son éducation et de ses premières rencontres, Vallat conserve une foi inébranlable en Dieu, encore in uencée par les événements politiques récents avec la loi de 1901 et surtout celle de 1905 sur la Séparation des Eglises et de l’Etat.
Il adhère totalement à l’idée d’une société fondée sur la famille, le métier, la Patrie et l’Eglise catholique, une société qui doit être conforme à un ordre divin supposé. Il s’oppose en conséquence totalement au mouvement du Sillon, mouvement laïque animé par Marc Sangnier qui défend, à la suite de l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII, une ouverture de l’Eglise sur la société de son temps, en particulier en direction du monde ouvrier, et une « république démocratique » selon l’expression de Marc Sangnier (8).
Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, Xavier Vallat, qui effectue son régiment, est sous les drapeaux depuis 1913 ; il est caporal quand arrive l’ordre de mobilisation. Il combattra dans l’Infanterie puis dans les rangs du 114ème bataillon de Chasseurs alpins. Il sera sous-lieutenant de réserve à titre temporaire le 13 juin 1915, lieutenant de réserve à titre temporaire le 23 mars 1918, sous-lieutenant de réserve à titre dé nitif le 5 juin 1918.
Il est blessé une première fois le 26 août 1914 à Montsur-Meuse, une deuxième fois le 29 octobre de la même année à Béthincourt, une troisième fois, gravement, le 30 mars 1918 à Vaux. Cette troisième blessure lui vaudra d’être amputé de la jambe gauche (7). Croix de Guerre avec palmes, il reçoit la Légion d’Honneur à titre militaire.
Xavier Vallat écrira souvent pendant les années de guerre de nombreuses lettres, à ses amis, à l’aumônier du groupe ACJF de Pailharès, au responsable fédéral du mouvement Joseph de Montgros. Des lettres souvent publiées dans La Gerbe, organe de l’ACJF, et lues par des milliers de lecteurs, ce que n’ignore pas leur auteur et ce qui, en conséquence, peut l’amener à en modi er tant la forme que le fond. Mais des lettres qui livrent l’homme et sa philosophie sans détours.
Cette attitude le poursuivra toute sa vie, singuliè- rement lors de la Deuxième Guerre mondiale. Elle le conduit pour l’heure à une adhésion sans faille à la no- tion de Patrie. Comme pour d’autres chrétiens du début du XXe siècle, Dieu et Patrie sont dès lors intimement liés au point de servir de drapeau lorsque viendra le 2 août 1914. Au point d’effacer alors, du moins pro- visoirement, les antagonismes politiques au sein de l’Union sacrée. Tous sentiments que l’on retrouve dans les toutes premières lettres de Xavier Vallat écrites du fond des tranchées et envoyées à ses amis de l’ACJF : une position vis-à-vis de la guerre que l’on trouvera rarement ailleurs avec, comme si le courage puisé dans la pensée philosophique pouvait encore échir parfois devant l’épreuve, le recours à l’humour. Qu’on en juge plutôt dans ces deux lettres écrites sur un lit d’hôpital :
4. Charles Maurras, Xavier Vallat, Lettres passe-murailles, correspondance échangée entre Charles Maurras et Xavier Vallat de mars 1950 à novembre 1952, éd. La Table Ronde, 1966.
5. Ibidem.
6. Fondée en 1898 par Henri Vaugeois et Maurice Pujo, à l’origine orientée vers un nationalisme républicain, l’Action française deviendra royaliste sous l’in uence de Charles Maurras.
7. Contrairement à ce que l’on a dit souvent, l’énucléation de l’œil droit que Xavier Vallat a subi n’est pas due à une blessure mais à une maladie. Le 19 septembre 1916, il écrit : « C’est mon œil droit qui m’a fait une sale blague. J’ai perdu les trois-quarts de la vision et il m’est devenu complètement inutile pour lire ; maintenant les lésions se sont cicatrisées, mais l’œil est encore un peu injecté de sang. » Le 8 octobre il précise qu’il est atteint d’une scléro-choroïdite antérieure : « lésions cornéennes sur tout le pourtour du limbe scléro-cornéen de l’œil droit ».
8. Dans le contexte de la loi de 1905, le Sillon, jugé trop moderniste et républicain, sera condamné par le pape Pie X en 1910.
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 54
DIEU, PATRIE... HUMOUR ET GRAVITE