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Mais il existe un moyen simple de mettre en évidence le phénomène de l’in ation séculaire. Si notre monnaie de compte, l’unité de compte (l’euro aujourd’hui) en laquelle on exprime les prix, les salaires, les contrats, les créances, les dettes, n’avait pas été modi ée à deux reprises (3), 1 kg de pain valant par exemple 3,5 euros en 2018 serait af ché chez le boulanger à 2 295 francs, à comparer au prix de 1 F en 1920 (4).
II. L’INFLATION AU CŒUR
DES BOULEVERSEMENTS DE LA SOCIETE
L’auteur ne saurait concevoir le mécanisme du phénomène in ationniste dans son ensemble ; dans le sens de l’opinion publique, il épingle quelques boucs émissaires : les transports, le ravitaillement, les marges des commerçants, les meuniers, les grèves des cheminots. Cependant il observe bien, sans les intégrer dans un schéma explicatif, plusieurs facteurs dont le rôle est crucial dans le développement du processus général de dérapage des prix. Il perçoit bien aussi la situation paradoxale de l’agriculture et plus particulièrement du marché de la terre. Il est en n frappé par les conséquences de l’in ation sur la situation des habitants de sa commune.
II.1. Les facteurs de l’in ation
L’in ation se nourrit d’un déséquilibre entre l’offre et la demande globale auquel peuvent être rattachés huit facteurs.
L’offre est resserrée du fait de la mobilisation. « Tous les hommes de 18 à 48 ans ayant été mobilisés, l’agriculture s’est trouvée subitement privée de la main-d’œuvre indispensable à son bon fonctionnement. Les personnes restant à la ferme, vieillards, femmes et enfants ont redoublé d’efforts pour remplacer les absents » (notes de Sylvain Dumas postérieures à la guerre). Les réquisitions aussi ponctionnent l’offre :
26 mars 1916 - « Le Ravitaillement continue à demander des pommes de terre et du fourrage. La commune doit en fournir 110 balles et 1 500 quintaux métriques de fourrage. Ce qui cause des dif cultés, c’est qu’il faut conduire le foin à Saint-Péray où se trouve la presse à vapeur. »
Le « Ravitaillement » ou la « Réquisition » c’est la Commission de Ravitaillement de Saint-Péray, présidée par M. Saint-Prix. Voici le texte de la dépêche qu’il envoyait au maire d’Alboussière, le 2 mars 1916 : « La commune d’Alboussière devait fournir hier, 1er mars, par voie de réquisition 60 quintaux métriques de pommes de terre. Le wagon de 6 500 kg réquisitionné
à Issartial n’entre pas en ligne de compte. Je vous prie de me faire parvenir avant le 7 le manquant. Si vous avez besoin de la gendarmerie, veuillez me le dire, je l’enverrai à Alboussière / comme je l’ai envoyée à Guilherand / Bien à vous. / En plus du contingent déjà prescrit devez fournir 1 450 quintaux métriques de foin ; jusqu’à ce que cette fourniture soit faite ne devez pas laisser prendre du foin dans votre commune. Par suite Calixte de Vernoux ne doit pas en acheter, cet ordre est absolu. »
3. L’euro a remplacé le franc en 2000 au taux de 1 euro pour 6,55957 francs. Ce franc, dit nouveau à l’origine, avait remplacé le franc dit ancien, en 1960, au taux de 1 franc nouveau pour 100 francs anciens. Et ce franc ancien est bien le franc qui avait cours en 1914 et qui avait été institué sous la Révolution à la place de la livre.
4. 3,5 x 6,55957 x 100 = 2 295, soit une augmentation de (2 295 – 1) / 1 = 2 294%. En comparant au prix du pain de 1914, de 0,30 franc, la hausse serait de (2 295 – 0,30) / 0,30 = 7 649%.
Du côté de la demande la pression est évidente du fait des dépenses publiques : 9 avril 1918 - « Les scies mécaniques de Badel et Dorne travaillent sans relâche pour l’armée. Un autobus de Valence vient chercher les pins au Buisson ; la main-d’œuvre est assurée par des prisonniers bulgares qui montent et descendent avec l’autobus. »
« Pour subvenir aux besoins de ces armées et aussi des grandes villes où se trouvaient de nombreux ouvriers détachés aux usines de guerre (à Valence il y en avait 10 000 travaillant à la cartoucherie) le gouvernement était obligé de réquisitionner la plupart des produits de la terre... » (note postérieure à la guerre).
D’autant plus que globalement la consommation privée reste soutenue grâce aux allocations :
- servies aux familles des mobilisés :
20 septembre 1915 - « On compte actuellement plus de 70 familles de mobilisés admises à l’allocation journalière. »
1916 - « Les femmes des mobilisés touchent chaque mois des sommes pour allocations journalières (1,25 F pour la femme et 0,50 F pour chaque enfant) ce qui fait pour beaucoup près de 100 F par mois. La plupart des pères de famille qui ont un  ls sous les drapeaux touchent aussi l’allocation. Mais lorsqu’après la guerre toutes les allocations seront supprimées, qu’en résultera-t-il ? »
- servies aussi aux réfugiés :
16 juin 1917 - « Les émigrés au nombre de 25 sont toujours dans la commune d’Alboussière. Le percep- teur de Saint-Péray leur a payé, en 1916, la somme de 8 515 F (allocations). On se demande à quel chiffre doit se monter cette dépense pour toute la France. »
De plus, le tourisme ne semble pas pâtir de la guerre mais béné cie de l’euphorie économique accompa- gnant l’in ation :
Eté 1916 - « Malgré la vie chère, les touristes sont
 69 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018












































































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