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II.2 Le cas paradoxal du marché de la terre
Alors que dans ce monde d’in ation tous les prix augmentent, il est un bien qui fait exception : la terre.
« Bien des vieillards, qui avaient cessé le travail depuis plusieurs années, sont revenus auprès de leur lle ou belle- lle pour remplacer le mari mobilisé. Ailleurs c’est la femme elle-même, avec les enfants en bas âge, qui a continué l’exploitation de la ferme. Combien en a-t-on vu labourer le champ, charger et conduire les engrais, couper les foins avec la faucheuse, moissonner, lier les gerbes, arracher les pommes de terre ? Le voyageur était surpris de ne rencontrer sur les routes que des charrettes n’ayant pour conduire l’attelage qu’un enfant ou une femme.
Mais malgré toute l’activité déployée par ce personnel agricole, les mauvaises plantes ont envahi rapidement les terres et, à la n de la guerre, bien rares sont les propriétés où le chiendent et les ronces ne compromettent pas les récoltes. En outre un certain nombre de fermes sont restées vacantes pendant plusieurs années » (note de Sylvain Dumas postérieure à la guerre).
16 juin 1917 - « Un petit propriétaire de Saint- Romain-de-Lerps me racontait dernièrement, dans la voiture entre Saint-Péray et Valence, qu’il avait une propriété dont le fermier ne voulait pas donner 220 F. Il s’est mis à l’exploiter et, dans le cours de 1916, il a fait pour plus de 2 000 F de recettes. »
13 novembre 1919 - « Bien que l’année soit une des plus mauvaises pour l’agriculture, les cultivateurs réalisent des béné ces importants et dès qu’un domaine est à vendre, les acquéreurs abondent, si bien que la terre passe aux mains de ceux qui la cultivent. Jamais on n’avait vu une époque où tant de fermiers soient devenus propriétaires ; ainsi les propriétés des Méalys, Cerisier, Foriel, Nodin, les Rases, etc., sont passées entre les mains des fermiers. »
Mobilisation
II.3 Conséquences sociales de l’in ation
Dans ses Notes et Souvenirs, Sylvain Dumas distingue trois catégories de villageois selon que leur situation s’est améliorée, maintenue ou détériorée. Dans la première catégorie, il faut comprendre les commerçants (épiciers, marchands de chaussures, négociants...) : « Les marchandises, mêmes celles qu’ils avaient en magasin, ont doublé, triplé, quintuplé, bien que les prix de gros n’aient pas varié en proportion. Une paire de sabots qui valait 1 F en 1913, vaut 6 F en 1918, et cependant le prix du bois est sensiblement le même;1kgderizquiétaitpayé0,5Fvaut4Fettout à l’avenant... ».
Les agriculteurs aussi, nous l’avons vu, ont pu béné cier de la hausse des prix. « Dans la seconde catégorie il y a les personnes exerçant une industrie (hôteliers, menuisiers, employés de l’Etat qui se trouvent privilégiés par une indemnité de vie chère de 5 F par jour, soit 10 F pour un ménage d’instituteurs lorsque la femme est institutrice). En n restent les petits rentiers, retraités, vieillards ne pouvant pas travailler ; leurs ressources n’ont pas augmenté pendant la guerre et cependant l’alimentation, le vêtement, la chaussure ont fait plus que doubler. »
L’auteur est particulièrement impressionné par la situation des rentiers. « Il y en a d’autres qui vivent dif cilement ; ce sont les petits rentiers, les petits retraités de l’Etat. Avant la guerre, ils s’étaient retirés avec un millier de francs de revenus, comptant qu’avec cela ils pouvaient se tirer facilement d’affaire. Cela allait avant la guerre, mais depuis lors l’argent a perdu beaucoup de sa valeur si bien que 5 francs aujourd’hui équivalent à peine à 1 franc auparavant. Dès lors si les ressources de ces braves gens se maintiennent à 1 000 francs, si ce n’est au-dessous comme pour les petits propriétaires, comment vivront-ils ? Ce sont évidemment les plus à plaindre ; le gouvernement s’en est même ému et depuis le mois de mai 1918, il
Réduction de la main-d’œuvre Demande de bras
Terres en friches (surplus de terre)
Trop de terres, pas assez de bras
Tendance à la baisse : - des fermages
- du prix de la terre
Rareté des « hommes » :
- augmentation des salaires ouvriers
- augmentation des revenus des exploitants
Le marché de la terre
71 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018