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 1 - Les familles, les couples à l’épreuve de la guerre, de la séparation
- Le pacte épistolaire pour conserver le moral des soldats...
« Ne pas être un homme, ne pas partir avec eux, ne rien savoir, être seule, pleurer jusqu’à n’avoir plus de larmes et souffrir tout bas, pour soi comme une bête réduite à ne vivre plus que dans l’attente d’une lettre » (11).
sans nouvelle. Tu connais mon caractère et tu sais que je languis vite dès qu’il y a quelques jours que j’en suis privée... Je t’enverrai une carte et on doit nous photographier ; si ça réussit je t’en enverrai une...
Les correspondances de l’arrière vers le front ont très souvent disparu du fait des déplacements, des dif cultés pour conserver les courriers.
Julie » (14).
Ces lettres et cartes postales (de 1914 à 1918 la pro- duction de cartes postales : exemple Artige à Aubenas, est estimée entre 6 et 7 milliards) sont une « bouffée de vie » pour les familles, les épouses à l’arrière comme au front. C’est le lien ténu qui relie l’ancien monde à celui des tranchées. Ces échanges sont réduits par pudeur, par crainte d’inquiéter et par peur d’être censuré pour propos défaitistes démoralisateurs. Ces correspondan- ces suscitent joie, idéalisation mais aussi doute, inquié- tudes, rancœur lorsqu’elles tardent à arriver et angoisse à l’arrière quand le temps s’écoule sans nouvelle (peur de voir surgir le maire ou le garde-champêtre...).
« Inutile de vous dire tout le plaisir que m’a causé votre lettre du 8 courant... Mais qu’elles sont longues à nous parvenir ces chères lettres de la maison ! Sept grands jours ! Le service des postes est vraiment défectueux, ceux qui nous gouvernent ne devraient cependant pas ignorer que c’est une condition essentielle au maintien de notre moral que de recevoir des nouvelles des nôtres » (15).
Tout retard dans la réception du courrier est source d’inquiétude : qu’est-il arrivé ? D’interrogations.
Ainsi, Charles Lebrat le 24 mai 1917 :
« Mon Emma bien aimée, deux mots pour t’annon- cer que je médite ton silence involontaire sans doute mais dont la souffrance en est que plus pénible... Ton mari pour la vie ».
De même, Marthe Fabre le 3 juin 1915 :
« Mon bien cher Louis,
Depuis samedi je n’en avais pas reçu, aussi j’attendais ta lettre que j’ai reçue aujourd’hui jeudi avec impatience. Tu me donnais bien du souci. Maintenant je suis contente de te savoir en bonne santé, mais je dois te dire que ta lettre m’a coûté 4 sous, car il n’y avait pas le cachet du bataillon.
Un cas assez remarquable est celui de Victoria Arcis (de Chazeaux), qui à partir de 1916 écrit quasi quotidiennement à son mari Félicien en laissant libre le deuxième volet de sa lettre a n qu’il puisse répondre.
« Ma chère Victoria, ... je suis toujours bien content car tous les jours je languis que le vaguemestre arrive pour savoir si j’ai de tes nouvelles » (12).
Carte postale de Margot à son frère (13) :
« Deux heures viennent de sonner à l’horloge de l’atelier ( lature).
Je suis en train de rever a ta lettre qui nous vient d’arriver.
Tout a coup, a mon amie Marg, il me prend de tout raconter,
mais elle me dit il ne s’agit pas de toujours y pen-
ser.Il faut tacher de désennuyer, ne pouvant le faire de près,
nos pauvres soldats qui sont dans les tranchées. En quelques mots
nous voudrions ranimer ton courage
et te dire ainsi qu’a tous la-haut :
prenez patience, que Dieu vous garde, vaillants soldats de nos  erté.
Ta sœur qui pense a toi aurevoir Margot »
Lettre de Julie à son frère Léon Mounier
« Privas ce 13 juillet 1917, Mon bien cher Léon,
Aujourd’hui j’ai reçu ta carte et lundi ta lettre. Allons, tu es gentil de ne pas me laisser si longtemps
A bientôt une longue lettre. Reçois mille baisers de ta sœur qui pense souvent à toi.
 11. F. Vitry, Journal d’une veuve de guerre, éd. Maison française d’Art et d’Edition, 1919.
12. Correspondance de Félicien, 17 décembre 1916.
13. Rochemaure, octobre 1915 avec orthographe d’origine, in Rochemaure dans la Grande Guerre, AREPO et le comité du centenaire. 14. Archives privées Didier Second.
15. Correspondance de Paul Vincent, 15 février 1918.
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 78
II - LES FEMMES DANS LA VIE PRIVEE






























































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