Page 81 - matp
P. 81
Je t’envoie l’adresse de Fernand. Il demande toujours de tes nouvelles ; tu ferais bien de lui écrire : il est toujours là-haut, à côté d’Arras ; lui, il écrit tous les jours ».
De l’arrière comme du front, les échanges épisto- laires cherchent à rassurer ou à tout le moins de ne pas inquiéter mais parfois la séparation est trop dif cile à supporter, la crainte trop forte et le moral anche.
« ... Moi j’ai remarqué dans ta dernière lettre que j’ai reçue de toi que tu perdais force. Ce que je te recommande, comme je l’ai toujours dit, soigne-toi et tiens bon jusqu’au dernier jour, chasse ces idées autant que tu le pourras car quoique je sois tout près de tout danger, tous n’y resteront pas. Aie toujours du courage dans l’espoir en n de pouvoir supporter ce lourd ennui que tu as été forte de vaincre jusqu’ici car moi quand je vois dans tes lettres que tu te portes bien ainsi que le petit et tous à la maison, cela m’enlève toute la fatigue... » (16).
« Mon cher amour, Depuis dimanche, je suis dans le même état, je me refuse à croire au malheur que ta lettre du 3 (avril) a l’air de vouloir me faire comprendre. Je suis restée tous ces jours derniers dans l’impossibilité de t’écrire un mot tant je souffre et mis en contradiction avec mes idées toujours la pensée que tu as écrit cela pour le cas où tu serais frappé et con é à un camarade le soin de me l’adresser » (17).
Cette lettre fait suite à celle de son mari Paul :
« Nous recevons l’ordre d’attaquer les positions ennemies, c’est à peu près à la mort que nous allons. Avant de partir pour le grand voyage, je tiens à t’adresser un suprême adieu et te dire encore tout l’amour que j’ai eu et que j’ai pour toi... Ton mari sera tombé en brave face à l’ennemi ».
Paul trouve la mort au cours de l’attaque de Flirey (Meurthe-et-Moselle) le 8 avril 1915.
A partir de juillet 1915, les poilus ont droit, sauf circonstances graves qui les suppriment, à 6 jours de retour à la vie civile après 4 mois de présence au front. Suite aux mutineries de 1917 les permissions agricoles sont portées à trois semaines et plus régulièrement accordées. Les agriculteurs pères de cinq enfants sont retirés du front.
« Chère Marie, tu me dis que Jules Dupin (ne) veut pas venir en permission pour quatre jours quand (car) il trouve qu’il (n’) en a pas assez, mais il faut qu’il l’aime pas bien sa femme, ni ses petits, quand tu veux
Dessin de François Rabal (1875-1959) - Voir p. 117
croire que moi j’aurai que (je n’aurais eu qu’) un jour je serais venu te voir ma petite femme que j’aime tant et mon petit chéri ; en n tout le monde n’a pas le même cœur » (18).
Le retour à la vie militaire est souvent synonyme de cafard en souvenir des heures passées auprès des êtres chers.
« Chère Séraphie, depuis que je suis venu en permission, je languis plus que jamais de toi. Mais quand viendra ce jour que (où) nous pourrons de nouveau être ensemble ? En n je termine en t’embrassant le plus fort. Ton Firmin qui t’aime » (19).
L’éloignement de l’être cher est source de soucis, d’interrogations sur son comportement, sa délité, son attachement à la religion mais parfois le rêve s’invite avant le retour à la réalité de la séparation.
« Chère petite femme, tu me dis dans ta lettre que tu es bien dèle à ton petit mari, mais tu peux être tranquille de mon côté aussi je suis dèle à ma petite femme » (20).
« Tu me dis que tu es occupé toute la journée ; j’en suis bien heureuse, au moins tu n’auras pas le temps de songer au mal. Malgré cela, je pense que tu es toujours bien sage et que, si tu ne peux aller le soir aux prières,
16. Correspondance de Victorin Firmin Boissin né à Prades, 11 mai 1915.
17. Correspondance d’Emilienne Chevalier, 23 avril 1915.
18. Correspondance de Jules Coudurier, 21 juillet 1915. Jules Coudurier est décédé en 1952 aux Ollières-sur-Eyrieux. 19. Correspondance de Victorin Firmin Boissin, 29 décembre 1914.
20. Correspondance de Jules Coudurier, 5 octobre 1914.
79 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018