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tu dois toujours aller à la messe le dimanche. Tâche de faire la Sainte Communion quelquefois pour moi ; je l’ai faite pour toi bien des fois et maintenant depuis plus d’un mois je ne l’ai pas pu.
Ainsi à Saint-Sernin le nombre de naissances qui était de l’ordre de la dizaine ou plus avant guerre (16 en 1911, 10 en 1912 et 1913, 11 en 1914) chute à 2 en 1915, 3 en 1916, 5 en 1917, 1 en 1918.
2 - Le rôle des femmes à l’arrière : assurer le quotidien du foyer
- Une tâche dif cile du fait des problèmes de ravi- taillement ou comment gérer la pénurie.
Les productions baissent (entre 1913 et 1917 la production de céréales baisse de 23%, celle de pommes de terre de 29%) car certains terrains cultivables sont laissés à l’abandon faute de bras pour les mettre en valeur. Les réquisitions accroissent encore ces dif cultés. Les prix augmentent.
« Maire à Préfet Privas. La quantité de 4 000 kg farine envoyée le 3 par M. Ribes pour les vingt boulan- gers du canton ne permet d’attribuer que deux balles à chacun, c’est-à-dire pour la consommation du 2 juin. Stop. Situation intenable si ravitaillement régulier n’est pas assuré. Le canton a reçu encore un convoi de réfugiés qu’il est impossible d’alimenter » (23).
« Sous-Intendance à Privas à Ravitaillement Lamas- tre. Ravitaillement Haute-Loire réclame prix 28 francs au départ pour pommes de terre expédiées de Retour- nac mais avons protesté et vous engage attendre nou- velles instructions avant faire payer le public » (24).
La pénurie explique l’apparition des tickets dès 1916 et les mesures de rationnement prises par la commune de Saint-Sernin :
Article 1er : Par suite de la prochaine répartition des farines au prorata de la population, M. Nougier, boulanger, est tenu de réserver le pain de sa fabrication pour les habitants de la commune, y compris les trois ménages situés sous Saint-Sernin et hormis les cultivateurs cuisant leur pain.
Si ce n’était cette maudite guerre on serait mainte- nant un peu content de voir en n nos souhaits réalisés. Mais quand donc nira-t-elle et seras-tu en n dans mes bras ? Tu ne saurais croire combien je languis de te voir, et il est vrai que je suis un peu dédommagée par la vue de la photographie et par le rêve. Je t’assure que je te vois souvent avec moi la nuit et je suis heureuse mais le réveil me donne bientôt la certitude de la triste réalité » (21).
- Des colis pour améliorer l’ordinaire ou équiper le poilu en vêtements chauds (chaussettes, tricots, gants, écharpes...) mais aussi signe d’affection :
« Je te fais une lettre avant de partir pour Largentière (elle travaille aux cartonnages à Luth), voici le contenu du paquet, un pigeon, des poissons, trois fromages, deux aubergines pour te les faire goûter, je sais que ça te fera plaisir et peut être rire en même temps, surtout la tomate ; je t’envoie une petite bouteille que (où) j’avais mis à tremper des noix, tu verras, c’est un peu jaune, une bouteille d’alcool de menthe et une boite de coco, elle est à l’anis, si le goût (ne) te plaît pas tu y mettras une goutte de menthe, je mets quelques morceaux de sucre, la prochaine fois je mettrai un saucisson, du chocolat et des sardines ; le père s’est levé à trois heures du matin pour aller à la pêche » (22).
Face à une nourriture grossière, qui parfois en première ligne n’arrive pas, ou froide, ou souillée, un colis, souvent partagé avec d’autres poilus, procure au récipiendaire un moment de plaisir gustatif mais aussi affectif en constatant qu’à l’arrière des personnes pensent à lui, cherchent à lui faire plaisir. Le contenu des envois témoigne des activités agricoles dans des jardins ou des faïsses, de l’élevage permettant l’envoi de fromages et de saucisson. Les agricultrices continuent de pratiquer une polyculture vivrière. Chocolat et sucre sont des denrées rares, réservées à certains événements ou personnes. Environ 80 000 colis auraient été envoyés quotidiennement vers le front.
- Graine de poilu : les femmes sont porteuses du devoir patriotique de nombreuses maternités.
Victoria Arcis donne naissance le 10 juin 1917 à Elie ; c’est son mari Félicien qui le déclare à Chazeaux. Ce souhait d’enfants se heurte à la dure réalité du contexte de la guerre, de ses drames et des dif cultés de la vie quotidienne. Aussi le nombre de naissances est faible pendant cette période de manque à naître.
21. Correspondance de Marthe Fabre à Louis, le 27 mai 1915. 22. Correspondance de Victoria Arcis à Félicien, 13 août 1916. 23. Notes du maire de Lamastre pour un télégramme de réponse
« 26 décembre 1917 - Arrêté municipal.
Article 2 : Jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordon- né, la ration journalière de pain est xée à 400 gr pour les hommes, à 300 gr pour les femmes et les enfants au-dessous de 16 ans.
Article 3 : Le pain sera distribué par quartier, aux jour et heure xés par le boulanger. Il est expressément défendu de livrer le pain du jour...
7 février 1918 - Arrêté municipal.
Conformément aux instructions préfectorales, la ration journalière du pain est momentanément abais- sée à deux cents grammes par personne.
au préfet, s.d. (4 juin 1917), archives communales de Lamastre E dépôt 24. Télégramme du service du ravitaillement à Privas, 2 mai 1918, archives communales de Lamastre, E dépôt 91 H 5.
91 H 5.
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 80