Page 18 - LUX in NOCTE n°1
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Réflexions sur les       Locataires, film       de Kim Ki-Duk



            La production de films sud-coréens est en constante augmentation depuis les années 1990. C'est dans
            ces  années-là  qu'émerge  un  nouveau  genre  de  cinéma  sud-coréen  et  que  certains  appelleront  La
            Nouvelle Vague Coréenne, en référence au mouvement européen du même nom. Par des Films de
            Genre détournés, les réalisateurs coréens cherchent à se libérer des traumatismes et des sacrifices
            connus pendant les années d'occupation et de dictature. Par ces films, souvent dérangeants et parfois
            extrêmes jusqu'au gore et au malsain, ils mettent en scène leurs questionnements, leurs critiques de
            la société coréenne actuelle et leur quête d'identité.
                   C'est dans cette veine de réalisateurs dynamiques que se fait connaître Kim Ki-Duk (김기덕 ).
            D'abord scénariste, il ne se met à la réalisation qu'en 1996 avec Crocodile (악어, Ag-o), et, depuis
            lors, réalise presque un film par an.  En 2000, il reçoit son premier prix en tant que réalisateur avec
            L'Ile (섬, Seom). Il nourrit chacun de ses films de sa propre expérience hétérogène, et de sa vie, d'avant
            le cinéma, et depuis. On y retrouve en effet une association étrange de notions, d'inspirations et
            d'expériences très différentes. Kim Ki-Duk construit ainsi un univers personnel, avec des thèmes
            récurrents  divers  touchant  tout  à  la  fois  au  social,  au  spirituel...  autour  de  personnages  forts  et
            complexes.
                   Malgré le succès populaire et critique qu'il a reçu pour un certain nombre de ses films, aussi
            bien en Corée du Sud qu'à l'étranger, et bien qu'il ait gagné de nombreux prix, la réception de ses
            films est généralement mitigée. En abordant de front certains sujets sensibles, comme la prostitution
            adolescente (Samaria, 사마리아, 2004), en mettant en scène des personnages marginaux, voire hors-
            la-loi (나쁜 남자, Nappeun namja, 2001) et en tournant des scènes d'une rare violence, comme dans
            la fameuse scène de L’Ile où l'héroïne se mutile avec des hameçons, Kim Ki-Duk choque et provoque
            des scandales. Il y existe pourtant une grande beauté et une grande poésie dans ces films. L'un des
            exemples les plus marquant reste Locataires ((빈집, Bin jip, 2004), qui a reçu notamment le Lion
    17      d'argent (prix du Meilleur réalisateur) au Festival de Venise.

                   Locataires raconte l'histoire de Tae-Suk, jeune homme sans domicile qui squatte les maisons
            vides (d'où le nom coréen « 빈집 » qui signifie littéralement « maison vide »). Un jour il choisit une
            maison qu'il croit vide, à tort, et y rencontre alors Sun-Hwa, femme d'un milieu aisée, battue par son
            mari. Ils s'élancent alors dans une fuite en avant, poursuivis la société, symbolisée à la fois par le mari
            de Sun-Hwa qui cherche à récupérer sa femme et la police qui condamne les intrusions de Tae-Suk
            dans des propriété privée.
                   Locataires est loin d'être un film ordinaire, aussi bien par la forme que par le fond. Difficile
            en  effet  de  catégoriser  un  tel  bijou  où  les  deux  personnages  principaux,  bousculés  par  la  vie  et
            traumatisés par une société étouffante n'échangent en tout et pour tout sur les quatre-vingt minutes de
            film que trois mots. On y retrouve bien la violence qui est reproché à son réalisateur mais il n'en
            ressort  pas  moins  une  intense  beauté  et  une  grande  poésie,  à  la  fois  dans  la  narration  et  dans
            l'esthétique du film. Il est étonnant, et passionnant, de voir comment les deux peuvent se mêler et se
            nourrir de façon inextricable, dans une recherche d'harmonie étrange.
                   Ainsi, c'est un film frappant par son fond comme par sa forme. L'histoire est touchante et
            complexe puisqu'il s’agit d'une romance qui éclot dans des circonstances terribles : Tae-suk sauve
            Sun-Hwa d'un mari violent, Sun-Hwa sauve Tae-Suk d'une complète et totale solitude. Aussi, on
            retrouve des thématiques multiples, comme les violences conjugales, l'exclusion et la marginalisation
            mais  aussi  l'amour,  et  la  quête  de  liberté.  Les  personnages  eux-mêmes  sont  particulièrement
            intéressants et on les regarde évoluer avec beaucoup d'intérêt. Ce sont tous deux des exclus, même
            s'ils viennent de milieux différents. Tae-Suk n'a aucune place effective dans la société, il se contente
            d'aller de squat en squat, tandis que le mari de Sun-Houa la coupe du monde. Ce statut marginal est
            représentatif  de  ce  double  aspect,  de  violence  et  de  poésie  que  nous  évoquions  plus  tôt.  Leur
            marginalisation découle de violence mais produit sur eux un effet bénéfique.
            Leurs  différences  les  rendent  incompréhensibles  pour  la  communauté  mais  du  moins  ils  se
            comprennent entre eux.
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