Page 29 - Eléments Post Replica - Théâtre Louis Calaferte Tarabuste_Classical
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CONSTRUCTION DES PERSONNAGES
il n’y a pas de construction psychologique ou de «naturalisme» ... Je sais fort bien pourquoi l’on me pose la question: aimez-
des personnages… vous vos personnages? Sans doute nombreux sont les spec-
Par exemple, il y a souvent des enfants dans les pièces de Calaferte tateurs de mes pièces qui ont été troublés, choqués même
(baby et babette dans Les Mandibules, Ludovic dans Une Souris grise par la petitesse des caractères que je porte à la scène. Ce
n’est point parti pris de ma part, pas plus que commodité
ou Annibal et eléonore dans La Bataille de Waterloo…) qui sont
esthétique ; c’est simplement le fait qu’à partir d’un certain
interprétés par des comédiens adultes sans aucun problème…
niveau de capacité intellectuelle la veine comique n’a plus
Les personnages de Louis Calaferte sont des « stéréotypes de
cours. Ce qui explique que toute une part du théâtre drama-
comportements », des individus qui composent notre société à l’image tique souffre de l’obstacle rhétorique.
des « play-mobil » ces petites figurines pour les enfants… S’il n’est pas que de situation, comme dans les grandes
L’acteur ou l’actrice met son corps, sa voix, au « service » du pièces de Feydeau, le comique découle principalement
stéréotype qu’il interprète : le papa, la maman, la grand-mère… d’une impuissance des personnages à s’exprimer. On pour-
Chacun des « personnages » sera affublé des « signes », des « codes» rait invoquer aussi une sorte d’innocence, réelle ou non,
qui authentifient son statut dans la société au regard de la majo- ainsi qu’elle apparaît chez Alceste ; une insuffisance d’ex-
rité… tériorisation objective résultant non forcément d’une inin-
telligence fondamentale, mais soit d’une forme obsession-
il faut que les acteurs acceptent cette première période de travail,
nelle de la pensée, comme Molière nous le montre à travers
très formelle, qui fait abstraction de tout investissement sensible…
son personnage, soit d’une limitation du vocabulaire qui
il ne s’agit pas de nier l’interprète mais il s’agit de lui faire revêtir
n’obtient pas d’atteindre une expressivité susceptible de
cette fine pellicule de formalisme qui lui confère un statut d’uni- traduire les mouvements émotionnels. C’est à ce dernier
versalité… postulat que je restreins mes protagonistes par penchant
Le comédien qui joue « le papa » incarne « la paternité »… naturel d’entomologiste à observer ce qui ressort d’une telle
dans le répertoire de Louis Calaferte tout le monde peut tout infirmité d’où jaillit un comique particulier en ce qu’il reste
jouer. Ce qui importe c’est la complémentarité des énergies, le sens teinté de mélancolie ou d’amertume. C’est aussi la raison
du rythme dans l’échange et la nécessaire affirmation… pour laquelle j’ai cru bon d’établir une distinction dans mon
être dans l’universel en interprétant l’anecdotique impose l’émer- travail théâtral entre ce que j’ai classé sous les rubriques
Théâtre intimiste et Théâtre baroque.
veillement, l’enthousiasme, la révolte, le bonheur de celui qui s’enivre
Quant à aimer ou non mes personnages, je ne puis
de découvertes et se rassure de certitudes…
répondre qu’en les considérant comme utiles à la démons-
On doit jouer Calaferte sans malice. C’est lui qui nous la donne
tration avec, à leur égard, une espèce de tendresse apitoyée
en réponse à notre sincérité d’interprétation… qui est celle que j’éprouve dans l’ordinaire de la vie pour
la grande masse de mes contemporains ; car il est égale-
ment vrai que ce comique de constat, ainsi que je l’ai
qualifié, ne peut surgir que s’il est étroitement en rapport
avec le réel...
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