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La Chaloupe - décembre 2017
butions exclusives et dans le troisième cas d’attribu- à 45%. Cette fois, l’étonnement vient surtout de la
tions mixtes. Lorsqu’un parrain donne son nom à sa Bretagne orientale : si l’on s’en tient aux corrélations
filleule, et, inversement, lorsqu’une marraine donne exclusives masculines, les taux de transmissions évo-
une forme masculinisée de son nom à son filleul, on luent entre 63 et 77% mais, si l’on inclut les corréla-
tions mixtes (le nom de la filleule est à la fois la forme
parle alors d’attributions transversales.
féminisée du nom de son parrain et le nom de sa mar-
Il peut être intéressant de connaître la part des attri-
butions transversales dans les choix de nomination. La raine), les taux dépassent désormais les 80% : 80%
exactement à Roz-Landrieux, 84% à Tréfumel et Con-
carte de la figure 10 présente les taux d’attributions coret, 93% à Beignon. Autrement dit, ici ce sont prin-
transversales entre les marraines et leurs filleuls. Une cipalement les parrains qui transmettent leurs noms
fois encore, les pratiques bretonnes apparaissent très
aux filles, ne laissant aux marraines qu’un rôle tout à
tranchées et bien marquées géographiquement.
fait mineur, voire exceptionnel, dans les processus de
A l’ouest, les marraines ne participent quasiment nomination. Et cela explique pourquoi nous trouvons
jamais à la nomination de leurs filleuls (moins de 3%). si peu de noms de saintes femmes en Bretagne orien-
Cela se produit exceptionnellement lorsque la mar- tale : c’est parce que le mode de transmission homo-
raine dispose d’un statut social supérieur à celui des nymique en usage bloquait systématiquement la diffu-
parrains. C’est une manière de lui rendre honneur con- sion des noms féminins spécifiques.
formément aux codes habituels de préséances en usage Ceci dit, ce constat amène une autre question :
sous l’Ancien Régime. Il arrive aussi qu’un parrain – pourquoi en Bretagne orientale l’honneur de la nomi-
fréquemment un prêtre – fasse montre d’humilité en nation des filles revenait aux parrains et non aux mar-
remettant à la marraine le choix de la nomination. raines ? Plusieurs hypothèses doivent être examinées :
L’absence de participation des marraines à l’est est était-ce dû à une influence du clergé ? Ou la consé-
également très nette, ce qui signifie que lorsqu’il y a quence indirecte d’options différentes dans les modes
transmission homonymique, ce sont essentiellement de faire-valoir des terres ? Ou une conséquence des
les parrains qui donnent leurs noms aux garçons. La choix effectués en matière d’organisation du travail,
surprise vient surtout des pratiques nominatives de la en lien éventuellement avec la nature du relief breton ?
Bretagne centrale. Jusqu’à présent, les comportements Les paysages agraires ? L’habitat ou les systèmes
observés dans ce secteur pouvaient être perçus comme d’héritage ? Ou une explication liée à des causes
une pondération entre les pratiques orientales et occi- moins structurelles et plutôt ethniques ou culturelles,
dentales. Cette fois, les Bretons du centre se démar- révélées par exemple par les systèmes familiaux ou les
quent complètement et accordent aux femmes un droit
de nomination des garçons très significatif, notamment pratiques linguistiques ?
sur les terres de l’ancien duché de Rohan, où les taux Les marraines et la nomination : essai
de transmissions évoluent entre 14 et 26%.
d’explication
Lorsque la marraine porte déjà un nom masculin Récapitulons les premiers résultats de l’enquête.
féminisé, le nom masculin associé est tout trouvé : ce Nous avons repéré trois zones, caractérisées par des
sera Jean pour Jeanne, Guillaume pour Guillemette et pratiques nominatives spécifiques :
Pierre pour Perrine. Mais comment « masculiniser » A l’ouest, les parrains nomment les garçons et les
un nom typiquement féminin ? Plusieurs solutions marraines nomment les filles. Les rôles sont très
avaient cours : soit on abrégeait la finale du nom fémi- sexués et reflètent une société où les responsabilités
nin (Catherin pour Catherine, Marguerin pour Mar- sont clairement définies, où chacun possède son do-
guerite), soit on lui substituait carrément un nom mas-
culin à consonance proche ; c’est ce que j’appelle les maine de compétence.
associations paronymiques : nous aurons ainsi fré- A l’est, les parrains ont la mainmise sur la nomina-
quemment Marin, Maurice ou Maury pour Marie ; tion, tant pour les filles que pour les garçons. Les mar-
Alain pour Hélène ; Marc pour Marguerite ; Chris- raines participent peu à la nomination, ce qui laisserait
tophe pour Christine ; Isaac ou Abel pour Isabelle, etc. penser que dans cette région les femmes étaient socia-
Par effet inverse, il arrivait aussi régulièrement dans lement plus effacées, qu’elles n’exerçaient qu’une in-
cette zone centrale que des parrains porteurs des noms fluence mineure au sein de leur communauté.
ci-dessus transmettent à leurs filleules le nom féminin Dans la zone intermédiaire, les garçons reçoivent
associé. En tout cas, il y avait dans ce secteur une in-
fluence des femmes dans la nomination des garçons principalement leurs noms de leurs parrains et les
filles reçoivent principalement leurs noms de leurs
que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
marraines mais il existe aussi une proportion impor-
La carte des attributions transversales entre les par- tante d’attributions transversales, et cela dans les deux
rains et leurs filleules (figure 11) permet de déterminer sens. C’est un fonctionnement collégial, participatif, et
plus précisément l’influence des femmes dans la no- l’on peut penser que, lorsqu’il fallait choisir un nom
mination des filles. Cette nouvelle carte apporte égale- pour un enfant, les décisions étaient prises en commun
ment son lot de surprises. A l’ouest, les parrains ne par l’ensemble des parrains et marraines.
participent pratiquement jamais à la nomination des
filles (moins de 8%) : l’attribution du nom des filles Des frontières linguistiques multiples
est l’affaire des femmes et les hommes ont rarement L’analyse cartographique permet de délimiter assez
leur mot à dire. Au centre, les parrains interviennent précisément les contours géographiques de la zone
souvent pour la nomination de leurs filleules : les taux intermédiaire. Dans le nord, elle occupe uniquement la
de corrélations exclusives varient généralement de 15 partie gallèse de l’évêché de Saint-Brieuc (ancien ar-
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