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La Chaloupe - décembre 2017
chidiaconé de Penthièvre), laissant de côté tout le La question du nombre des parrains et marraines
Goëlo bretonnant. Dans le sud, elle s’étend à une mérite toutefois que l’on s’y arrête. Avant la mise en
bonne partie du Vannetais et se prolonge jusqu’au application des décrets promulgués par le concile de
pays Nantais. Dans ses limites occidentales, elle ne Trente en 1563, l’usage le plus courant en Bretagne
rejoint toutefois pas l’Ellé, rivière qui constituait au- était de choisir deux parrains et une marraine pour le
trefois la limite entre les évêchés de Quimper et de baptême d’un garçon, et un parrain et deux marraines
Vannes et une frontière linguistique importante entre pour le baptême d’une fille. C’est ce que l’on appelle
les deux principaux groupes de la langue bretonne, le le « modèle ternaire » qui laissera progressivement la
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KLT (Kerne, Leon, Treger) et le parler vannetais. place au « modèle du couple » au tournant du 16 et du
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L’examen des registres de baptêmes du Vannetais 17 siècle. L’application des recommandations triden-
montre que la ligne de démarcation des pratiques no- tines se produira dès 1570 dans les diocèses de
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minatives se plaçait en fait sur une autre rivière, celle l’ouest , bien plus tôt que dans les diocèses de l’est qui
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du Blavet, qui prend sa source dans les Monts de ne s’y mettront qu’à partir de la fin du siècle . Il sem-
Haute Cornouaille (près de Bourbriac) avant de des- blerait bien que leur adoption y ait en fait été retardée
cendre jusqu’à l’estuaire de la rade de Lorient. A parce que le « modèle du couple » n’emportait pas
Séglien, paroisse vannetaise située à une vingtaine de l’adhésion des populations qui préféraient conserver
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kilomètres de Pontivy, du côté de la rive droite du Bla- un nombre important de parrains et marraines . Nous
vet, les noms des filles étaient attribués principalement avons donc une Eglise qui s’efforce de tempérer et
par les marraines et les noms de saintes femmes y d’adapter ses réformes aux attentes et exigences de ses
étaient fréquents, et c’était la même chose plus au sud fidèles sans chercher à les imposer par la force. En ce
à Guidel, autre paroisse vannetaise située entre l’Ellé sens, ce ne sont pas les autorités ecclésiastiques qui
et le Blavet. Par contre, à Nostang, dans le pays de sont réellement responsables des différentes pratiques
Lorient mais du côté de la rive gauche de la rivière, les nominatives. Leurs efforts pour faire passer la réforme
noms des filles étaient bien attribués par les marraines en douceur marque a contrario l’attachement des fa-
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à la fin du 16 siècle, mais avec une prépondérance milles de la Bretagne orientale au système traditionnel
très nette de noms masculins féminisés et peu de noms du compérage multiple.
de saintes femmes, ce qui permet de penser à un chan-
gement récent de pratique nominative, faisant suite à Le pays des ragosses
une pratique de la nomination des filles par les par- Si les pistes linguistiques et religieuses ne s’avèrent
guère concluantes, celle du paysage agraire paraît bien
rains.
plus pertinente. La superposition entre nos cartes no-
Frontière naturelle, le Blavet est aussi une sous- minatives et celles du relief breton (figure 12) et des
frontière linguistique puisque la rivière marque dans grandes familles de paysage (figure 13) est particuliè-
son cours inférieur la limite entre les dialectes bas
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vannetais à l’ouest et haut vannetais à l’est . Toute- rement intéressante. Deux constats peuvent en effet
être posés : d’une part, le territoire du « paysage culti-
fois, si l’on constate bien une corrélation entre cette vé à ragosses » correspond globalement aux zones
ligne linguistique mineure et la nature des pratiques
nominatives, force est de reconnaître que la ligne de d’altitude peu élevées de la partie est de la Bretagne ;
d’autre part, ce type de paysage trouve sa limite occi-
démarcation majeure entre le pays bretonnant et le dentale au Goëlo et au Bas Vannetais, c’est-à-dire pré-
pays gallo ne permet pas d’expliquer quant à elle les cisément sur la ligne de démarcation des pratiques
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divergences du 16 siècle puisque les pratiques dans le nominatives occidentales et orientales. Le paysage à
Penthièvre (pays gallo) sont les mêmes que celles du
Haut Vannetais (pays bretonnant). Ce constat revient à ragosses tire son nom de l’appellation locale donnée à
cette forme d’arbres si particulière consécutive à des
écarter l’idée d’une diversité d’origine uniquement émondements réguliers qui ne laissent généralement
ethnique, qui opposerait une Bretagne occidentale cel-
sur pied qu’un tronc noueux parfois muni d’un « tire-
tique à une Bretagne orientale francisée.
sève » à son extrémité. Cette pratique perdure essen-
tiellement aujourd’hui dans le bassin rennais. L’ex-
Une influence du clergé ?
pression définit un paysage de semi-bocage composé
Par ailleurs, les limites des trois zones identifiées de grandes parcelles, parfois laniérées, autour des-
ne correspondent pas non plus aux circonscriptions quelles subsistent par endroits de grandes haies
ecclésiastiques, ce qui aurait pu appuyer l’hypothèse d’arbres. Pour mieux comprendre la raison pour la-
d’une influence du clergé sur les pratiques nomina-
quelle les marraines ne transmettaient pas leurs noms
tives. On voit en effet que dans l’évêché de Saint- aux filles dans ce pays semi-bocager, j’ai étudié l’évo-
Brieuc, le Goëlo se rattache clairement aux modes de lution des pratiques nominatives dans deux localités
nomination du Trégor voisin tandis que l’évêché de morbihannaises situées dans la partie orientale de la
Vannes est partagé entre le Bas Vannetais qui s’aligne Bretagne (Beignon) et dans la zone intermédiaire
sur les pratiques occidentales et le Haut Vannetais pla-
(Bignan).
cé dans la zone intermédiaire. En outre, on ne trouve
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pas avant le 17 siècle de prescriptions épiscopales sur A Suivre …
les modalités de la nomination des filles.
Pierre Yves Quemener
7 - Sur ce sujet, voir Llpq Crjsjtm, Approche phonologique, morphologique et syntaxique de breton du Grand Lorient (bas-vannetais),
Thèse de breton-Celtique, Université Européenne de Bretagne, Rennes 2, 2007, p. 29-30
8 - Le modèle du couple est adopté en 1570 à Tréguier, en 1578 à Saint-Brieuc et en 1584 à Quimper.
9 - Dans les diocèses orientaux, le modèle du couple est adopté en 1598 à Vannes, en 1600 à Nantes, et en 1611 à Rennes et Saint-Malo.
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10 - Pijnnj-Ysju Qmvwjkjn, « Parrainage et nomination en Bretagne au 15 et 16 siècle », article à paraître dans les Annales de Démogra-
phie Historique en 2017.
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