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La Chaloupe - décembre 2017
Lignât (à deux kilomètres du bourg). On la recouvrit
de branchages au milieu desquels une trappe fut dissi-
Histoire du tailleur d’habits mulée, et l’on mit pour appât un gros morceau de
qui tomba dans la fosse aux viande.
Un soir, le vieux père Lalande, tailleur d’habits de
loups son état, revenait, sa journée finie, ses grands ciseaux
dans sa poche, du village de Coëffant, en plein bois.
Quelle idée eut-il ? On ne sait ! Mais, en passant le
Nombreux sont encore ici, dans le pays, les long de la fosse aux loups, il eut la curiosité d’y regar-
« Anciens » qui se souviennent d’y avoir vu des der de si près qu’il y fit la culbute. C’était déjà une
loups. Ils sont tout heureux de rappeler leurs souve- bien triste aventure, mais le pire est qu’il y trouva un
nirs, que chacun écoute de toutes ses oreilles. Jamais, loup de forte taille qui s’y était déjà pris ! Surpris de
depuis une quinzaine de jours, je n’ai entendu raconter cette irruption inattendue, l’animal recula dans un
tant d’histoires de loups ! Parmi celles-ci, j’en retiens coin de la fosse, et le tailleur, en l’apercevant, se pré-
une surtout qui me fut contée par plusieurs personnes, cipita dans l’angle opposé. « Ses yeux brillaient
mais principalement par une vieille femme de Li- comme braises ! Raconta-t-il lus tard. J’avais grand
merzel, contemporaine du temps où elle s’est passée. peur, et je criais pour l’effrayer : c’est pas un loup,
Voici donc l’histoire « du tailleur d’habits qui tomba c’est un diable ! Cisaille ! Mordaille ! En deux coups,
dans la fosse aux loups ».
quatre trous ! »
J’avais dans les 13 à 14 ans, me dit « Mère
Jeanne ». Je me rappelle bien, c’était le grand hiver où
il y eut tant de neige, c'est-à-dire à l’hiver 1863-1864.
Il n’y avait pas tant de routes qu’à présent, mais il y
avait beaucoup plus de grands bois et beaucoup de Au loup à Bannalec
loups qu’on entendait hurler la nuit.
vers 1840
Cet hiver là il n’y avait guère à manger pour les
bêtes, et les loups poussés par la faim, venaient le soir
rôder autour des maisons. Ils emportaient tout ce Voici maintenant cette histoire familiale.
qu’ils pouvaient trouver : moutons, chiens, et même Il s’agit en effet de mon arrière-grand-mère, Ma-
s’attaquaient aux gens isolés qui s’attardaient trop à la rie Geneviève FOURMENTIN qui était née le 16 mai
tombée du jour. Nous autres, pâtours, nous en avions 1831, à Bannalec, fille d’un fermier des environs. Elle
grand peur, et nous nous réunissions à plusieurs pour avait passé toute sa jeunesse à la campagne et à ce
garder nos bêtes quand on pouvait les faire sortir des moment là, la Cornouaille était encore infestée de
étables, ce qui n’empêche pas que j’eus deux de mes loups.
brebis emportées et mangées.
Tant et si bien qu’on fit tout le possible pour dé- Un jour, elle pouvait bien avoir sept ans (vers
truire les loups. Une grande fosse, bien plus large 1840), avec deux petites camarades, elle avait repéré
dans le fond qu’à l’orifice, fut creusée dans le bois de la tanière d’une louve. Avec la patience qu’ont parfois
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