Page 24 - EXTRAIT ANACALYPSE
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Terry, comme les autres témoins de la scène, détourna le
regard des deux femmes qui sanglotaient dans les bras l’une
de l’autre, afin de respecter ce débordement inattendu. De
nouvelles règles de savoir-vivre naissaient dans les décombres :
par pudeur, il fallait apprendre à ne pas voir ce que les
murs à terre ne cachaient plus, comme les démonstrations
émotionnelles de ce genre et qu’on n’aurait jamais exprimées
publiquement avant le Grand Séisme.
Au-dessus de leurs têtes, le ciel s’assombrit brusquement
et de grosses gouttes s’écrasèrent avec un bruit mat dans
les salissures des trottoirs. Terry avisa un ancien kiosque à
journaux aux rideaux de fer tirés. Comme elle s’y précipitait
pour éviter l’averse, des cris se firent entendre, venus d’une
rue adjacente :
« Ça y est, ils sont sortis de la route de l’Attique ! Ils
arrivent ! »
Les Athéniens affamés se relevèrent brusquement,
comme un diable sort de sa boîte. Les têtes se tournèrent vers
l’avenue par laquelle « ils » arrivaient habituellement ; certains
se décidèrent à déblayer les gravats éboulés dans la nuit qui
pourraient ralentir les véhicules. Les deux popes étaient
descendus du parvis et s’activaient eux aussi, l’espoir semblait
nourrir les estomacs vides. On bavardait, on riait avec des
inconnus. On échangeait rumeurs, potins, anecdotes, comme
on le faisait « avant ».
Ce sursaut d’optimisme fut de courte durée.
Au-dessus d’eux, les nuages continuaient à se crever.
Alors que l’heure tournait, les maigres réserves d’énergie
s’épuisèrent. On parlait moins fort, les rires cédèrent la
place à des sourires désappointés. On se rassit, on se laissa
tomber là où l’on se trouvait, peu importait que l’on soit
dans un caniveau, sur un trottoir ou dans les ordures. On se
faisait à l’idée qu’en réalité, personne n’avait vu de camion
nulle part ce jour-là, ni sur la route de l’Attique ni ailleurs,
sans que l’on comprenne vraiment comment était née cette
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