Page 28 - EXTRAIT ANACALYPSE
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Les conversations recommencèrent un ton plus bas, comme
si on craignait d’offenser par une joie trop affichée une
divinité colérique. Petit à petit, chacun s’installa, qui à une
table, qui assis au sol sur les matelas et les coussins autrefois
réservés aux élèves de la bibliothèque. Certains, comme Terry,
commencèrent à dessiner ; d’autres, à écrire ; d’autres enfin, à
fredonner des rebetika . Anastasia se joignit à eux en marquant
1
le rythme avec son tambourin. Ce soir encore, il manquait
Katerina. Elle les avait émerveillés lors de leurs rencontres
précédentes avec sa voix douce capable de les envoûter par
son chant qu’elle accompagnait d’un tambourin, mais aussi
par ses contes et ses récits mythologiques.
Tout en dessinant, Terry, un instant, se demanda ce qui
avait bien pu lui arriver. Puis, craignant les pensées noires, elle
se focalisa à nouveau sur ce moment de quiétude, oasis dans
la tempête de leurs vies abîmées.
Anastasia, arrivée devant sa porte d’entrée, fouillait ses
poches pour retrouver ses clés. Les larmes contenues tout au
long de la soirée coulaient enfin, et leur sel piquait ses joues
meurtries par le froid. Avec Terry, elles avaient quitté l’atelier
en dernier, après avoir rangé et sécurisé les accès de l’école.
Elles étaient retournées ensemble jusqu’à leur rue, en silence.
En arrivant devant son immeuble, Terry lui avait proposé un
thé qu’Anastasia avait refusé. Après ces quelques heures au
cours desquelles elle avait pu s’échapper de son quotidien, elle
rentrait chez elle abattue et éreintée, mais préférait la solitude
aux questions que ne manquerait pas de poser son amie. Et
tant pis si l’appartement que remplissaient les souvenirs de la
veille ne lui semblait plus accueillant, comme si ce lieu l’avait
trahie. Elle ferma la porte d’entrée à double tour, laissant ses
sacs dans le salon, puis vérifia que tous les volets étaient clos
avant de se diriger vers la salle de bains. Une douche. Nettoyer
1 Mélodies nostalgiques que les Grecs chassés d’Asie Mineure au début du xx
e
siècle avaient composées pour raconter leur vie perdue.
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