Page 76 - Islenska
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société médiévale islandaise inattendue, faites de finesse et de raffinement. Ingolfur complétait le récit qu’il avait tenu à ce sujet sur le langskip. Il me présenta à de nombreux autres bondaer, propriétaires de leurs terres pour la plupart. Parmi eux, un personnage mystérieux, Tyrfin- gur, fils de Thorsteinn, dont le nom me rappe- lait quelque chose. Son regard gris et solitaire attira mon attention. Le soir venu, la plupart des vikings entourait Tyrfingur au coin d’un feu. Quand il prit la parole, sa voix était grave, pro- fonde et envoûtante. Tous l’écoutaient conter un récit bien étrange.
L’histoire était celle d’Egill, grand guerrier viking, très respecté car d’une extrême violence avec ses pairs. Quand il perdit ses deux fils, l’un de maladie, l’autre par noyade, il était si révolté et désespéré qu’il en maudit Odin, maître de la mort, aussi fort que son humanité le lui permet- tait. Mais de sa douleur, émergea peu à peu un nouvel homme. Loin de sa barbarie sanglante, il devint Egill le scalde, le poète. Il avait déjà écrit auparavant, mais l’hommage qu’il rendit à ses fils devint un des plus beaux poèmes de la littérature médiévale : Sonatorrek, l’irréparable perte des fils. À son terme, la douleur s’étant amoindrie, il loua Odin, maître de la poésie. Tyrfingur récita quelques strophes choisies du poème. J’en étais subjuguée. Puis, comme s’il s’adressait directement à moi, il expliqua que l’humilité face à la nature comptait parmi les plus grandes forces au monde. Et que les dieux étaient souvent la clé de la réussite de toute quête.