Page 10 - Le grimoire de Catherine
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BRODERIE, CUEILLETTE ET REVERIES
Bonsoir, je suis la Licorne, peut-être y a-t-il longtemps que nous n’avons pas
conversé ou encore ne l’avons –nous jamais fait, je ne suis pas une grande bavarde !
Par contre, je sais que vous me connaissez.
Faites un petit effort, souvenez vous ! J’étais dans votre livre d’histoire à la page
dévolue au Moyen Age. Au milieu des illustrations, alors que vos yeux, remplis de
curiosité, sautaient des châteaux forts aux chevaux en plein tournoi, je m’y trouvais, sur
cette même page, sous la forme d’un animal magique, cornu, compère et complice
d’une très belle Dame. Le temps a accolé nos deux images, ainsi étions nous devenues
pour la prospérité «La Dame à la Licorne »
Vous m’avez retrouvée, lors d’un de vos voyages de classe qui prévoyait la visite d’un
musée parisien si votre institutrice préférée était une lectrice des Chevaliers de la
Table ronde. Après vous être hissés sur les sièges plastifiés d’un autocar bariolé,
avoir chanté ou plutôt hurlé toutes vos comptines, exorcisme indispensable pour
supporter la durée du voyage, vous vous étiez endormis.
Arrivés à Paris, à peine réveillés, tout fripés de sommeil, vous avez été présentés à
Madame la conservatrice du Musée de Cluny. Elle vous a expliqué que vous alliez
découvrir des merveilles, qu’il fallait pour cela, se taire, ne pas faire de glissade, ne
pas toucher aux objets. Ces conditions remplies, vous alliez, c’était sûr, accéder à ses
trésors.
Vous, dont l’imaginaire était peuplé de squelettes de dinosaures, de robots désarticulés,
vous avez été très vite étonnés ! Un peu déstabilisés par la demi- obscurité
ambiante, par le feutré environnant, souvenez-vous, vous avez cherché, afin de vous
rassurer, le regard de votre institutrice. Comme il brillait ! A qui souriait –elle ? Que
voyait –elle ? Alors vous avez cessé de pousser du coude votre voisin et là vous
m’avez découverte. J’étais dans cette tapisserie, oui, j’habitais dans une tapisserie.
Je sais qu’alors je vous ai plu tout de suite. Vous en avez oublié votre préoccupation
favorite, celle d’amuser vos compagnons. Vous vous êtes même attardé devant moi.
Je vous ai envoyé un petit clin d’œil mais vous l’avez pris pour un rai de soleil jouant sur
la toile tendue depuis tant de siècles Maintenant vous avez grandi, vous utilisez
Internet. Regardez j’y suis là aussi.
J’étais dans cette tapisserie depuis le XVème siècle ; Ce n’était pas la sinécure que
vous pensiez. Dorlotée c’est sûr je l’étais, admirée également, même étudiée par des
personnes réputées pour leurs célèbres hypothèses. Je restais toujours dans ces
moments –là, bouche cousue. Il faut toujours garder une part de mystère pour
demeurer intéressante et ne pas risqué d’être reléguée dans les réserves du musée.
Vous semblez en douter, je vous assure que j’ai déjà assisté à la descente dans ces
oubliettes d’une multitude d’œuvres devenues avec le temps trop encombrantes. Et
je crains le voisinage avec les souris, elles sont friandes de vieilles toiles, cela est bien
connu !
Heureusement que les nuits étaient plus animées que les jours. Je vais vous confier
un secret et vous faire certaines confidences. Dès le dernier tour de clé du gardien
perçu, la fête commence dans tous les musées du monde. La prochaine fois que vous
passerez devant un musée la nuit, levez la tête vous y verrez toujours de la lumière.
Donc à Cluny, chaque soir nous quittions notre tenture murale. Le superbe lion donnait
le signal des festivités, brandissant son drapeau richement brodé. La Dame, subtile
musicienne faisait vibrer son orgue médiéval, dédiant ces harmonies aux reflets de la
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