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ma création : elle prend vie spontanément, en son temps voulu. Tout arabe par un poète libanais alors que je préparais
ce que je fais, c’est saisir l’éphémère et l’éterniser sur papier. D’ailleurs, mon baccalauréat. Cette rencontre littéraire
l’un de mes plus beaux poèmes a pris forme au sortir du sommeil… Un fut une révélation ; j’en suis tombé éperdument
matin, émergeant des brumes d’un rêve, je me suis dirigé vers le bureau amoureux de sa poésie autant que du personnage
de ma demeure et là, j’ai couché sur le papier les vers d’un poème lui-même. C’est alors qu’un défi s’imposa à moi
baptisé « Paroles de l’illusion ». Une œuvre qui remonte à quarante ans : il était impératif que je découvre les vers du
déjà... une création marquante de ma plume. poète dans leur langue originelle. Je pris donc
ma décision ; jeune poète à Bagdad d’abord, puis
Je dois avouer mon ignorance en matière de poésie. Cela semble être un la vie m’a mené en Algérie et ensuite en France
exercice complexe qui requiert non seulement une expérience certaine où j’ai appris le français. Par un heureux hasard,
mais également un vaste savoir. ou peut-être était-ce le destin ? une fois installé
Effectivement... c’est là toute la substance et l’exigence du métier. à Paris, l’ambassade du Sud-Yémen me sollicita
C’est un défi : aspirer à l’idéal. Imaginez le poème comme un lac ; en pour rejoindre leurs rangs en tant qu’attaché
contemplant sa surface, vous pourriez croire à sa superficialité. Mais culturel. Une fois positionné dans ce rôle au
dès que vos pieds effleurent son lit, vous êtes saisi par son insondable Yémen, quel fut mon objectif lors de ma visite à
profondeur... Ainsi devrait être la poésie : miroir trompeur d’une Aden ? Retrouver la maison de Rimbaud... Une
apparente simplicité dissimulant des abysses vertigineux. Voilà le défi ! maison jusque-là inconnue des chercheurs et
Peu y parviennent, c’est un art ardu... des admirateurs du poète.
Peut-on apprendre à devenir poète, ou naît-on avec ce don ? La demeure est-elle aujourd’hui préservée ?
La poésie... est-elle une affaire de naissance ou d’apprentissage ? Certes, Permettez-moi de vous narrer une coïncidence
on peut naître avec une sensibilité poétique ; toutefois, cela ne suffit troublante... En 1980, lors de mon arrivée à Aden,
pas. Être né avec un talent pour la poésie ne nous autorise pas à nous j’ouvre un volume de la Pléiade renfermant les
reposer sur nos lauriers et à proclamer : correspondances de Rimbaud. Une date attire
« Voilà, je suis un poète ». Non. Si le don est là, il impose de lui- mon attention et provoque un frisson : Rimbaud
même un engagement : celui du travail acharné et de l’enrichissement débarquait à Aden en 1880. Nous étions en 1980...
culturel. Un siècle s’était écoulé, presque jour pour jour.
C’est alors que je me suis pris d’une résolution
Le rôle du poète, je l’ai déjà exprimé auparavant, s’apparente à se tenir inébranlable : il me fallait retrouver la maison
debout sur une cime qui surplombe 5 000 ans d’histoire. Considérons « de Rimbaud. La quête ne fut pas des moindres ;
Gilgamesh », ce chef-d’œuvre vieux de plus de 5 millénaires ; sa lecture elle m’a reconduit à Paris où j’ai consacré douze
moderne suscite encore stupéfaction et admiration. Face à cet héritage années d’efforts soutenus. Douze ans... Et au
colossal, moi qui aspire au titre de poète, je dois nécessairement en terme de cette période, un colloque prenait
tenir compte... Derrière moi se dressent ces millénaires d’excellence forme à Aden : historiens yéménites et fervents
littéraire : ils constituent tout autant un héritage qu’un défi... Un défi rimbaldien, Alan Borer en tête, poètes français
qui m’oblige non seulement à respecter cette tradition mais aussi et tels Alain Jouffroy, Bernard Noël ou André
surtout, à y apporter ma pierre ; quelque chose d’inédit, d’unique. Velter, sans oublier les voix arabes éminentes
d’Adonis et du Yéménite Mokaleh... Tous ces
Il me semble que la poésie et ses artisans sont perçus comme les parents illustres intervenants, et c’est là mon œuvre,
pauvres de la littérature, sous-estimés dans leur valeur intrinsèque. furent rassemblés grâce au soutien précieux de
Quel est votre avis sur la question ? l’ambassadeur français à Sanaa de l’époque, un
À mon sens, le poète n’est pas tant délaissé qu’incompris ; je le diplomate du haut rang Marcel Laugel ; il fut
qualifierais d’enfant prodige. Prenons l’exemple d’Arthur Rimbaud, dès d’un appui considérable dans cette entreprise.
ses 12 ans, il a bouleversé l’univers poétique... Concernant la demeure en question... Nous avons
organisé un colloque et mené des recherches
Vous évoquez Arthur Rimbaud... N’est-ce pas sur lui que vous avez poussées. Des éléments concordants nous ont
travaillé en traduisant ses écrits en arabe ? guidés vers une construction particulière ; après
En effet, c’est moi qui ai redécouvert sa demeure à Aden au Yémen. À enquête auprès de résidents yéménites, nous
cette époque-là, en 1980 précisément, j’occupais le poste de conseiller avons découvert une piste prometteuse. Sur
culturel à l’ambassade du Sud-Yémen. Permettez-moi de vous confier le fronton de l’édifice, on peut lire « Chambre
quelque chose avant de poursuivre... Si je suis là aujourd’hui, c’est de Commerce » et pour cause : Rimbaud fut
grâce à Rimbaud. À 18 ans, j’ai découvert un livre sur lui traduit en employé chez Alfred Bardet, propriétaire d’une
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