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UNE HISTOIRE DE FOUS…
On est lundi. Je regarde par la fenêtre. Premières primevères.
Elles sont naturellement belles. Je fume tranquillement. Il fait
beau, il suffirait que je fasse un pas de plus, enjamber le
rebord et poser mes pas sur l’herbe verte, belle étoffe.
Mais dois-je décoiffer cette magnifique parure ? Non ! Je
regarde… seulement entre le carrefour de mes idées floues et
le ciel en mèche sur le front aux reflets de blancs d’œils tracés
à la goutte d’eau, j’aperçois un… lutin.
Je respire le décalage entre lui et moi. Il me sourit. Je fronce
les sourcils. Il grimace. J’ironise de mon visage. Il me tourne le
dos. Il n’est pas plus haut que les jonquilles qui dominent les
primevères.
Est-il sorti de terre, de fleurs, de l’arbre à quelques mètres de
là ? Qu’importe. Il m’amuse ce tout petit bonhomme et à tel
point que je lui trouve de suite un surnom : lapinou. Et je mets
à rire quand je vois qu’il y a d’autres de ces petits hommes :
gros, cornus, longs de bras ou courts de jambes, des têtes
difformes mais marrantes…
J’inspire une autre taffe de mon tabac maison qui est un peu
humide, il faut avouer. Je me demande si ne devrais pas
changer les ingrédients et supprimer les feuilles séchées de
radis…
Je ferme les yeux. Tout va bien. Mon ciel est toujours intact et
mon esprit d’un beau rose parme. Je vais me rallonger et
laisser quand même la fenêtre ouverte, car je veux me
prémunir de la sorcière Tchil-baga à la première rosée de
printemps…
— Alors, comment est-il ce matin le docteur ?
— Il est sauvé, mais il faudra qu’il redescende de son arbre à
fous…