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PAUL LE BIENHEUREUX
Jour J
“Il est l’or. L’or de se réveiller. Mon seignor. Il est huit or.”
Cette fameuse réplique est de 1971, j’avais vingt-huit ans à
l’époque. J’en ai soixante-quinze et il est huit heures. Une
jeune du quartier vient me chercher. « J’habite seul avec
maman / Dans un très vieil appartement » mais maman est
partie depuis peu à quatre-vingt-quinze ans au… cimetière.
En ce matin, je suis triste, très triste. Je regarde sans regarder
ce quartier d’immeubles, je ne me retourne pas. Je ne veux pas
mourir de suite. J’ai encore la flamme de vie dans mes yeux.
Je monte dans la voiture. La jeune a placé mes quelques valises
dans son “espace”. Une assistance sociale a fait le nécessaire.
Mon notaire prend les choses en main et moi je me laisse
embarquer comme un môme vers l’inconnu… enfin, en
direction de la maison de retraite… à dix kilomètres de là. J’y
suis allé plusieurs fois en accueil de jour. J’avais aimé… je
crois… parce que là, ça va être tout différent… je pense.
J’ai des larmes. Oui. Des larmes discrètes qui me font souffrir.
Des brûlures incontrôlables que j’essaye tant bien que mal de
cacher en prétextant une poussière dans l’œil.
— Ça va monsieur Paul ?
— Ça va bien, merci…
— Hum…
Elle n’est pas dupe. Elle reste à distance de mon mal être et je
préfère.
Il fait beau et je me mets à sourire. Après tout, il faudra bien
que je m’habitue à cette nouvelle vie.
Jour +1
Premier réveil, première surprise. Il y a un ancien militaire qui
nous fait le réveil au clairon : 6 heures. Branle-bas de combat.
Un aide-soignant d’une bonne constitution s’emploie à me faire
sortir du lit : “presto presto” dit-il d’une voix de baryton et