Page 25 - OPEX MAGAZINE N°1
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Voilà une intention qui a si bien sonné
dans ma tête de lieutenant para pour
que je puisse la retranscrire mot pour
mot 40 ans après. Cependant mon
premier souci reste le saut. Il s’agit
bien d’un assaut vertical (mon premier
objectif, l’hôtel Impala, PC des rebelles,
est situé à 300 mètres de la zone de
saut). Cela me plaît bien : dans la plus
pure tradition des troupes d’assaut
surgir pour épingler le papillon sur le
bouchon. Je comprends que l’effet majeur est la surprise et la rapidité avec laquelle la section sera regroupée quelles que
soient les circonstances. Les chefs de groupe et d’équipe seront donc briefés et disposés sur les câbles à cet effet. Une fois
la section réarticulée au sol, je serai imbattable…
Je me suis toujours posé la question de savoir si un lieutenant attendait la guerre pour justifier ses choix professionnels
(fussent-ils inspirés par la vocation) ou pour l’aventure. Confusément il y avait un peu des deux au fond de moi-même. Mais dès
la mise à terre je peux affirmer avec certitude que cette question ne se posait plus puisque que tout simplement je n’aurais
jamais laissé ma place. Se retrouver dans l’herbe à éléphants, à la tête de légionnaires parachutistes prêts à combattre et
mourir s’il le faut, entendre sur la gauche les premiers tirs d’armes automatiques, de LRAC et de grenades antichars est
vraiment dimensionnant. Cette fois-ci ce n’est plus du bidon : je ne suis plus seulement responsable mais comptable de mes
actes. On m’a confié un superbe outil auquel j’appartiens corps et âme : à moi d’être à la hauteur de la confiance accordée.
Venant d’être largué avec sa Lieutenant à Kolwezi
section du 2 REP à Kolwezi à
e
proximité du PC des rebelles,
le lieutenant Bourgain entraîne
maintenant ses légionnaires vers
leur objectif en ville.
C’est dans cet état d’esprit que j’engage
ma section dans l’avenue qui conduit
Collection de l’auteur Le lieutenant Bertrand Bourgain fait un point de situation au colonel Erulin, chef de corps au pont qui relie la partie européenne
de la ville à la partie africaine (cité
Manika). D’emblée je suis frappé par le
du 2 REP et au capitaine Gausserès son commandant la compagnie
e
nombre de cadavres abandonnés dans
la rue, certains dévorés par les animaux, l’odeur de la mort, le fond sonore et lancinant de hurlements de chiens mêlés à un
brouhaha humain, lointains et ininterrompus. Plus étrange j’entends les chiens se taire, le silence se créer au fil de notre
déplacement. Un homme blanc hagard se précipite pour m’embrasser. Je lui dis qu’il est sauvé et lui recommande de se
mettre à l’abri parce que je sens, je sais, que cela ne va tarder à « cartonner ». Cela ne tarde pas en effet. Le groupe de tête
en reconnaissance d’itinéraire est violemment pris à partie avant le pont par des armes automatiques. La section manoeuvre
comme à la parade. Les comptes rendus sont millimétrés, les ordres déclenchent des mécanismes maintes fois répétés, pas
un mot inutile, pas un cri sauf pour se faire entendre sous le feu. Pour moi, il s’agit de réduire les îlots de résistance un à un,
en pensant déjà à conquérir avant la nuit des positions favorables, de l’autre côté de la coupure.
C’est dans ce but que je m’engage avec le groupe « EMD » (en mesure de…), contraint de monter à l’assaut sur le flanc d’un nid
de mitrailleuse qui freinait la progression de la section. Nous coiffons l’objectif. Ceci est fait sans coup férir quand j’entends
derrière moi dans un bâtiment (une école) quelqu’un crier « Au secours, ne tirez pas ! ». Je réponds : « Armée française ». Je
passe le portail de l’enceinte suivi de mon radio et d’un tireur LRAC armé seulement de son PA . Ils abattent deux hommes en
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uniforme qui me mettent en joue pendant qu’à l’intérieur un groupe de personnes, qui étaient des otages promis à une mort
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certaine, chantent La Marseillaise. Je savoure ce moment : avoir fait tout ce chemin pour entendre chanter La Marseillaise
qu’on n’osait plus chanter en France ; voilà ma revanche ! Elle est d’autant plus belle que parmi ces personnes il y avait
un gars chevelu comme ceux de 68 qui vomissaient les militaires, avec tatoué sur le bras le signe de reconnaissance des
antimilitaristes. Je lui fais la remarque et, en rigolant malgré son traumatisme, je lui dis que s’il ne cache pas cela je le laisse
là, tout seul, où il est ; ce qu’il fit sans hésiter en rigolant (jaune, je crois) et en baissant la manche de sa chemise trouée.
Pour ma section la suite des combats a consisté d’abord à prendre le contrôle de la cité Manika sous les tirs de harcèlement de
groupes très mobiles, plus ou moins importants, connaissant parfaitement le terrain, puis d’opérations au niveau compagnie
et régiment, ponctuées d’embuscades de nuit et de patrouilles dans la ville, sa périphérie et ce jusqu’à la relève par des
11/ Le radio, le caporal Maigret ; le tireur PA, 1ère classe Tavary dont l’arme (LRAC) n’a pu être récupérée sur la zone de aut suite à une erreur de largage.
12/ À l’issue de ce combat la 1ère section libère 37 otages. Certains sont des enfants dont les parents oint été assassinés. 23