Page 26 - OPEX MAGAZINE N°1
P. 26

troupes marocaines. Cette relève s’effectuera à Lubumbashi où je dus abandonner, la mort dans l’âme, mon GMC. Ce GMC,
                    probablement acheminé par les Américains juste après la 2  Guerre mondiale puis à nouveau de la Corse vers Kolwezi par
                                                                 e
                    ces mêmes Américains , avait cette particularité d’avoir un volant et une caisse en bois : une antique pièce de collection à
                                     13
                    laquelle je n’étais pas insensible, mais que les Marocains ne voulaient pas prendre en compte croyant qu’on se fichait d’eux.
                    Les armes qui équipaient les sections étaient les suivantes : le
                    fusil à lunette FRF1 aux effets ravageurs jusqu’à 300 mètres, le
                    FSA 49-56 ce bon vieux fusil avec une crosse en bois (comme
                    mon GMC) qui tire coup par coup mais force le tireur à prendre
                    la visée, le PM MAT 49 à la vitesse initiale incomparablement
                    basse seulement bon pour la protection rapprochée et l’assaut,
                    l’ AA52 (cette bonne vieille « nana », l’amie du groupe) qui a fait
                    son oeuvre convenablement, le LRAC et le FLG qui ont détruit les
                    deux AML sur la zone de saut, et même le petit PA MAC 50 (mon
        Lieutenant à Kolwezi
                    année de naissance) de mon tireur LRAC qui m’ a sauvé la vie
                    lors de la libération des otages. J’ai tout de suite vu que cette
                    panoplie  d’armes,  pour  certaines bien  désuètes  comparées   Devant l’hôtel Impala à Kolwezi fin mai 1978 : la section du
                    à l’armement de l’adversaire, avait l’énorme avantage de me   lieutenant Bourgain est embarquée dans son GMC qui date de la   Collection de l’auteur
                    contraindre à préciser les secteurs de tir, articuler les pions,   2  Guerre Mondiale et dont la caisse et le volant sont en bois !
                                                                         e
                    coordonner les feux et les mouvements, sans jamais tomber
                    dans la routine. J’affirme que cela a épargné le sang de mes légionnaires et limité les dégâts collatéraux. Je me rendis
                    compte aussi, ce que je n’avais pas forcément vu à l’entraînement, que c’était faire un bon usage de la force.
                                                                     Dans ce type d’opérations dites humanitaires d’un genre
                                                                     tout nouveau je sens que la force devient violence quand
                                                                     elle est appliquée inutilement. Placer le curseur au bon
                                                                     endroit, exercice pas facile quand on est dans la mêlée, a
                                                                     été grandement facilité par la discipline de feu à laquelle
                                                                     nous étions soumis. On nous a toujours dit : « Au REP, on fait
                                                                     du tir à tuer, point à la ligne ». Je donnerai deux exemples
                                                                     qui 40 ans après restent dans mon esprit. Au cours de cette
                                                                     première nuit un de mes chefs de groupe  m’informe qu’il
                                                                                                    14
                                                                     voit progresser avec prudence un groupe de personnes et
                   Collection de l’auteur  Opérations de nettoyage et de sécurisation autour de Kolwezi  me demande, par anticipation, l’autorisation pour ouvrir le

                                                                     feu. Je lui rappelle les consignes, à savoir l’identification et
                                                                     l’évaluation des risques, ce qui, en une fraction de seconde
                                                                     je le sais, relève autant de l’instinct que de l’expérience.
                    Il ne tirera pas. Bien nous en prit puisqu’il s’agissait d’un papa et d’une maman portant un petit garçon blessé à la tête,
                    prêts à tout pour sauver leur enfant. Nous les évacuerons vers le PC du régiment. Je n’oublierai jamais l’expression de ces
                    yeux démesurément blancs dans la nuit. Fort de cette expérience, je ne pus cependant prévenir la mort d’un villageois tué
                    malencontreusement par un de mes légionnaires dans un combat au corps à corps dans les cases de la localité de Kapata.
                    Au son même des rafales de son PM, trop longues, j’aurais dû comprendre que ce légionnaire, déjà légèrement blessé au
                    bras par balle, aurait dû être écarté quelques instants. Sans
                    tomber dans le pathos et la repentance, le souvenir de cette
                    mort inutile et des pleurs de la famille ne m’a jamais quitté.
                    Le bon usage de la force c’est aussi et surtout un gage
                    d’efficacité : une force tranquille que j’assimile au pas lent
                    de la Légion. Tous les lieutenants engagés à Kolwezi sont
                    d’accord : au fil des coups qu’on lui portait la combativité de
                    l’ennemi s’est diluée jusqu’à en faire des fuyards, moins sous
                    l’effet des pertes subies que sous la panique qu’on lui inspirait.
                    Cela me conduit à vous avouer en aparté que, contrairement à
                    ce qu’on m’avait appris à Coëtquidan, je n’avais aucun respect
                    pour l’ennemi, ces fameux « Tigres » katangais inspirés par la
                    révolution cubaine et encadrés par des Allemands de l’Est. Des   Prise d’armes à Toulouse Francazal pour la Saint-Michel   Collection de l’auteur
                                                                          en septembre 1978 (le drapeau du 2  régiment étranger
                                                                                                e
                    terroristes : on leur a fichu une belle raclée. C’est justice, je n’ai   de parachutistes est porté par l’auteur)
                    pas peur de le dire.

                    13/ Les véhicules organiques du régiment seront acheminés par l’US Air Force. Le régiment sera motorisé le 24 mai. En amont ma section a été dotée d’une Mercedes et
                    d’un corbillard pour faciliter les déplacements notamment lors de l’opération de Kapata (22 mai).
                    14/ Ce chef de groupe était le sergent Sablek (rectifié Sabljic) qui terminera sa carrière lieutenant-colonel à titre étranger. Mon sous-officier adjoint était le sergent-chef
     24             Moncheaux et les 2 autres chefs de groupe les sergents Moreau (terminera sa carrière chef de bataillon) et Touhami.
   21   22   23   24   25   26   27   28   29   30   31