Page 10 - Les Contes de la lune
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L'esprit de la lune
Conte recueilli auprès d'un nippon de la région d'Osaka / Japon
Il y a bien longtemps, la lune était habitée par un esprit divin. Superbe et brillant comme le plus pur de joyaux,
c’était pourtant une créature bien solitaire. Haut dans son refuge, un monde fait de pierres d’argent et de silence
limpide, l’esprit désirait ardemment un compagnon.
Loin au dessous de lui, la terre fourmillait de vie. Chaque fois que l’esprit baissait les yeux il voyait humains et
animaux, explorant les plus hautes montagnes, domptant les mers les plus profondes. Forêts et grottes, rivages et
champs, partout les mortels prospéraient.
Plus il regardait la terre, plus l’esprit de la lune se sentait seul et sa curiosité grandissait chaque jour un peu plus :
Tous semblent si heureux là-bas. Oh, comme ils ne réalisent pas leur chance !
Un jour, l’esprit n’y tint plus. Il se voila d’une brume soyeuse, et sauta de la lune.
La chute fut grisante : tombant et tombant toujours plus vite, il croisa étoiles scintillantes et nuages duveteux. Et
bientôt, l’esprit posa pour la première fois le pied sur la terre.
Tout autour de lui, se dressait une forêt sombre, vision à la fois familière et étrange. Si loin du doux éclat de la
lune, la nuit était d’un noir d’encre, et les arbres immenses projetaient leurs lugubres silhouettes comme des
griffes. L’air était glacé, rien ne bougeait. L’esprit en fut complètement décontenancé. Sous ses voiles soyeux, il
frissonna.
« La terre semblait bien plus accueillante vue du ciel… »
L’esprit fit un pas hésitant, puis un autre. Dans ce monde inconnu tout lui paraissait anormal, distordu. Alors
qu’il marchait toujours plus loin, son éclat divin s’affaiblit, doucement puis de plus en plus vite. Et il finit par
s’éteindre totalement. Son estomac gronda soudain :
« Oh, je suis si fatigué et j’ai tellement faim ! Comment les mortels peuvent-il supporter cela ? »
Sur la lune, il suffisait d’une pensée pour se sentir reposé et avoir le ventre plein. L’esprit s’assit sur une large
pierre, et se pelotonna pour lutter contre le froid. Les ronces avaient réduit ses beaux voiles en lambeaux.
Autrefois radieux, il ressemblait à présent à un véritable mendiant, couvert de boue et d’écorchures.
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