Page 10 - Miettes
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Non vous n’aurez pas cette chance car tout le monde est affairé.
Les outils claquent sur les tables, et l’on m’emmène. Je disparais.
On vous vole ces moments précieux. Je ne vous reviendrai que
plus tard, quand maman pourra me voir enfin et s’occuper de moi,
car elle a besoin de soins sans attendre.
Lors de ma première auscultation, quelque chose cloche. Le
médecin qui m’a examinée a eu le sang glacé en sentant mes
jambes se désarticuler au test LCH (Luxation Congénitale des
Hanches). Mon petit corps déjà abimé par cette épreuve n’est pas
tout à fait comme les autres.
Quand je réapparais, je ne suis pas le joli poupon que vous avez
fantasmé. Je suis une petite momie enrubannée de la tête aux
pieds. Mon épaule est immobilisée pour permettre à ma clavicule,
fêlée par les efforts à m’extraire, et mes jambes ceinturées, car « il
ne faut pas qu’elles bougent ». Je suis tel un petit haricot mal
fagoté, je suis toute chiffonnée.
Il nous faudra partir dans un hôpital spécialisé, à des 100aines de
kilomètres, pour recevoir le traitement qui me permettra de
marcher un jour.
« Il ne manquait plus que ça » résonne encore de la voix de papa,
retentissant dans tout mon être. Il avait déjà été clair, il ne
s’occupera pas de moi tant que je serai un bébé, car « un bébé n’a
rien d’intéressant ». « Cela » ne devient intéressant que pus tard
semble-t-il, lorsque des interactions sont possibles j’imagine,
lorsque le soin qui est donné peut être restitué probablement.
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