Page 6 - Miettes
P. 6
Si maman avait un caractère à ne rien abandonner, et savait
maintenir ses objectifs dans la vie, il n’était pas son plus grand
soutien. Mais qui l’avait été jusque-là ? Je crois que maman s’était
accommodée de cette solitude de l’âme et d’une certaine dureté
de la vie.
C’est ainsi que maman s’est rendue seule en taxi à la clinique pour
subir l’opération qui lui permettrait d’espérer m’avoir, après 3
années infructueuses de stimulations, injections, inséminations,
déceptions… Cela l’avait endurcie. Alors quand papa lui a
répondu qu’il était trop occupé pour l’accompagner, c’est à lui
qu’elle a pensé avant elle. « Le pauvre », déjà qu’elle l’ennuyait
avec toutes ces histoires de désir d’enfant et ses « chialeries »,
elle pouvait bien faire cela comme une grande et lui ficher un peu
la paix.
Je suis en outre heureuse de savoir, et de vous annoncer, que je
suis un petit miracle. Le chirurgien avait prévenu. Après la fausse
couche récente et maintenant avec l’opération, il ne fallait pas
espérer une grossesse de si tôt. Dans les semaines qui suivirent
l’intervention, maman attendait que son cycle revienne
naturellement. Elle avait été prévenue. Cela se passerait comme
ceci et comme cela, et il faudrait laisser le temps faire son œuvre,
que tout « se remette ». Mais rien ne se produisait.
Alors il y eut cette échographie pour vérifier que tout allait bien,
afin d’écarter tout doute sur sa guérison en cours. C’est là que je
fais mon entrée. L’écran grisâtre et hachuré dévoilait dans les
profondeurs de sa chair la présence d’un petit passager clandestin
tout à fait confortablement installé, et donnant tout son sens à ce
6