Page 116 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE BIS
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Je me sentais redevable de sa grande générosité, aussi dès qu'il se
rendait à la boutique Ted Lapidus, située rue du Faubourg Saint
Honoré, où il était responsable, je me transformais en femme
d'intérieur pendant son absence, et lui était ravi de trouver de bons
petits plats en soirée. Il était une sorte de grand frère pour moi et
m'appelait « sa jeune fille au pair ».
Nous invitions souvent des amis à diner, mais je ne rêvais que
d'une chose, me trouver un emploi dans le milieu de la mode.
Comme il travaillait chez un couturier en vogue à l’époque, j'avais le
mince espoir de pouvoir y faire mon entrée. Hélas, cela n'arriva pas
puisque Jean-Pierre allait bientôt quitter Ted Lapidus pour devenir
bien plus tard le bras droit d'Emmanuel Ungaro, mais il n'était pas
encore un personnage suffisamment influent dans ce milieu. Je me
contentais donc des dîners et sorties avec les amis, des balades aux
Puces de Clignancourt le week-end, où Jean-Pierre me constituait une
garde-robe vintage. Elle était belle la vie, mais trop facile et vide à
mon goût, linéaire malgré toute cette gentillesse à mon égard.
Un jour Jean-Pierre me présenta un ami japonais, Tokio. Il était
styliste et travaillait pour une petite société de prêt-à-porter. Nous
dînions et sortions souvent ensemble. Je ne savais pas encore qu'il
allait devenir l'assistant de Kenzo, et par la suite, l'un des plus fameux
jeunes créateurs de chaussures et maroquinerie de l'époque, Tokio
Kumagaï, avec sa propre boutique place des Victoires, avant d'être
emporté par cette terrible maladie dont on allait commencer à parler,
quelques années plus tard.Je garde le souvenir de Tokio qui aimait
danser en discothèque, les yeux fermés, sur les tubes de Marvin Gaye,
tel que « What’s going on».
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