Page 111 - La pratique spirituelle
P. 111
Cette « sensation », dont je crois qu’elle entretient un certain *
rapport avec ce que vous appelez « aperception », est-elle elle- * *
même un objet dans ce que je suis ? Pour écouter les sensations, tensions ou crispations du corps,
Oui. s’agit-il simplement d’en prendre note par une pensée en se
disant : « Tiens, il y a une tension ou crispation ! », juste une
Suis-je cela ? constatation par une pensée d’un fait ?
Non, vous en êtes le connaisseur. La sensation est percep- L’écoute est silencieuse. C’est le silence qui écoute. Le
tion, et donc objet. Elle n’est pas l’aperception de l’ultime sujet. silence ne dit rien. Il voit, constate, inclut. Telle est sa nature.
Ma compréhension du concept « d’aperception » n’est pas claire. Ou bien est-il préférable de bien ressentir physiquement la
Il me semble que la perception est justement ce en quoi se résorbe tension et de bien rester avec sans faire intervenir du tout la
la fusion percevant/perçu. En ce sens, la perception est le sujet. pensée ?
Est-ce juste comme ça ? Oui, une écoute sans pensée.
L’aperception est l’identité, évidente, immédiate et spon-
tanée, avec ce qui voit. Toute perception requiert un support Lorsque j’essaie d’écouter mes sensations, des pensées appa-
pour exister. Le support ne requiert rien d’autre que lui-même. raissent très souvent qui me détournent du corps, et je n’arrive
Vous êtes l’immuable support dans lequel le monde apparaît pas à sortir de cette impasse. L’écoute du corps est parasitée par
et disparaît. ces pensées. Pourtant, grâce à vos enregistrements, je prends de
plus en plus conscience que ces approches corporelles sont très
La question « Qui suis-je ? » donne le sentiment que le person- importantes, voire essentielles. Que me conseillez-vous ?
nage se vide peu à peu de son sens, de l’user. Convient-il sim- Lorsqu’une pensée survient et qu’elle est constatée, vous
plement de le voir ? Mon personnage très inventif est très tenté êtes ramenée, dans l’instant, à l’écoute elle-même. Négligez
de lui trouver une remplaçante. Sa dernière production est : donc la pensée qui jaillit, et ramenez l’attention vers la sensa-
« Où est la frontière entre le sujet et l’objet ? ». Cela dit, il est tion elle-même. Restez collée à la sensation, sans distance et
embarrassé, car il se souvient avoir lu ici que vous avez indiqué sans séparation.
que toutes les questions autres que « Qui suis-je ? » viennent du
mental. Diriez-vous que distinguer l’objet de ce qui le perçoit, ne plus les
Les questions qui soulèvent l’étonnement sont l’occasion confondre et les prendre l’un pour l’autre, suffit à ce que notre
d’habiter l’étonnement, cette ouverture totale, libre de toute nature réordonne ce qui doit l’être ?
conclusion. L’attention n’a plus alors de support à quoi s’accro- Oui.
cher. Elle ne peut donc que reposer en elle-même, et trouver
ainsi le repos cherché. Cette écoute discriminante a-t-elle le pouvoir de mettre fin à
tout ce qui n’est pas elle ?
Oui.
110 111