Page 202 - La pratique spirituelle
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ulcères à l’estomac ? Je lisais un livre de Matthieu Ricard où il            La « digestion » des mémoires se fait-elle sur le plan psycho-
            préconise de visualiser un nectar qui viendrait soulager les dou-            logique ?
            leurs. Y a-t-il là une voie à explorer ? J’ai toujours une réticence            L’acceptation ne vient pas du mental, mais du cœur. Elle
            vis-à-vis des techniques de visualisation, du fait qu’elles activent         est unité à l’instant tel qu’il est.
            la structure mentale, ce qui semble contre-productif lorsqu’on
            est sur une voie de lâcher-prise...                                          Cette digestion se fait-elle par une compréhension ?
               Les brûlures gastriques sont souvent causées par le stress                   Par une compréhension de l’inutilité du refus, qui est un
            associé à une alimentation inadéquate. Les techniques de visua-              subterfuge du moi pour se maintenir en vie.
            lisation ne sont pas incompatibles avec une détente de la struc-             Et par une catharsis ? Par une objectivation qui révélera le
            ture corps-mental. Il convient alors de n’utiliser l’image mentale           caractère illusoire du mental et aboutira à un désintérêt ?
            que pour éveiller une sensation, puis de rester avec la sensation,              Oui, une catharsis du caractère fallacieux et trompeur des
            par exemple une sensation d’apaisement, en ignorant l’image.
                                                                                         affirmations mentales, qui font croire que l’instant puisse être
            Dans une de vos interventions, vous disiez que, si la vision était           différent de ce qu’il est, et que le passé aussi. Le Soi rejette
            habitée, le corps venait progressivement s’aligner sur cette paix            ainsi tout ce qu’il n’est pas.
            d’arrière-plan. Mais, lors d’une colère par exemple, qui sur-                Il m’est arrivé de provoquer des sortes de catharsis en me replon-
            vient dans le cadre d’une conversation, c’est forcément le men-              geant mentalement dans « la nébuleuse mentale » qui avait un
            tal qui est habité puisque l’attention est portée sur le contenu
            de la conversation. Comment alors rester à habiter le Soi                    caractère obsessionnel et faisait ressurgir sans arrêt l’émotion et
            d’arrière-plan ?                                                             en me répétant « c’est grave, c’est tellement grave ». Cela mettait
               Vous êtes à chaque instant le Soi, et n’avez donc rien à                  en lumière le caractère finalement tout relatif de cette gravité,
            faire pour l’être. Voyez, au plus tôt, lorsque vous quittez cette            aboutissant à une sorte de compréhension, puis de désintérêt.
            perspective globale pour rentrer dans la perspective fraction-               Je me demandais si ce type de pratique vous semblait valable ?
            née du « vieil homme ». Plus tôt ce glissement est vu, plus tôt                 Il convient de voir que les pensées passé-futur ne sont que
            il est quitté. Dans la perspective égotique, le monde n’est que              des reconstructions ou des constructions mentales, qui ne sont
            conflit. Dans la perspective du Soi, le monde n’est pas.                     jamais la réalité de ce qu’elles représentent. La pensée du passé
                                                                                         est ainsi clairement vue comme n’étant pas la réalité, et de
            Je laisse mûrir peu à peu vos réponses, mais je rebondis sur                 même pour la pensée du futur et la pensée du présent. Les
            une de vos phrases lorsque vous dites que les émotions sont                  mouvements mentaux vous éloignent donc de l’expérience
            des « mémoires non digérées ». Qu’est-ce qui fait que certaines              immédiate de l’instant tel qu’il est, qui peut être vécu, mais
            mémoires sont digérées et d’autres pas ?                                     non pensé. Dans cette perspective, le refus d’une situation n’est
               Une situation, quelle qu’en soit sa nature, laisse des traces,            qu’une réaction psychologique, basée sur la croyance que les
            dès lors qu’elle n’est pas pleinement acceptée, sans réserve, ni             choses puissent être différentes de ce qu’elles sont, et que le moi
            condition.                                                                   dispose d’un pouvoir de contrôle et de maîtrise sur les situations.




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