Page 79 - La pratique spirituelle
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Il est difficile de se passer de moments fréquents et suffi-  personnage qui dit « stop, on arrête les dégâts ». En même
 samment prolongés, dans lesquels vous vous familiarisez avec   temps, ma question n’est peut-être pas aussi duelle que cela,
 l’écoute silencieuse des sensations et des pensées. C’est cette   car j’ai l’impression de ressentir la positivité du NON, son éner-
 écoute qui amène la distanciation, et donc la tranquillisation.   gie déconstructrice d’une mauvaise habitude et reconstructrice
 En remuant un bocal d’eau, on ne fait que rendre l’eau encore   d’une perspective plus juste. J’ai l’impression que laisser claquer
 plus trouble.  un NON à la névrose, au mental négatif répétitif, c’est comme
            dire merci.
 Je me sens incapable de vivre dans le monde sans soutien. Et les   Le « non » dont vous parlez est celui d’une non-compli-
 seuls lieux qui offrent ce soutien au quotidien sont des hôpitaux   cité aux ruminations égocentriques du mental, entretenues par
 classiques.  l’intérêt égotique qui lui est porté. Lorsque cette complicité est
 Les séjours hospitaliers, s’ils sont pris du bon côté, peuvent   vue, et n’est plus nourrie, elle tend à s’éteindre, et à éteindre
 être vus comme l’occasion d’un retour à soi, dans un environ-  aussi les mouvements mentaux qu’elle contribue à maintenir.
 nement confiné, dans lequel les interactions égotiques sont   Ce « non » est expression du Soi qui se sépare du non-Soi, de
 mises au repos. Profitez de ce moment pour stabiliser votre   la vérité qui se différencie du faux, pour mieux se retrouver.
 esprit. La stabilisation vient de la non-identification au perçu.   Ce mouvement de dégagement, du sans-forme qui se dégage
 Maintenez votre écoute, d’instant en instant. Votre corps,   de la forme qu’il habite, est curateur, puisqu’il permet à la
 votre mental et les mémoires qui lui sont associées, sont des   conscience de réaliser sa nature propre, sans objet. Elle peut
 objets d’écoute. Mettez-vous à leur écoute, en les accueillant   alors, ensuite, réintégrer l’objet, en tant que prolongement
 comme si vous accueilliez un bon ami. Ne cherchez pas une   d’elle-même, sans pour autant se réduire et se restreindre à
 distanciation par la force, mais par l’amour. Lorsque vous   lui. Cette retrouvaille du Soi avec lui-même peut être contée
 aimez vraiment, vous ne fixez pas l’objet aimé. Vous le lais-  sous la forme d’un dialogue animé entre le Soi et le moi. Elle
 sez libre, car l’amour est liberté. La liberté n’appartient pas à   peut aussi se faire en silence, dans le saisissement libérateur de
 l’ego qui, par nature, est conditionné. Elle s’enracine dans la   l’unité retrouvée et réalisée. Le silence réintègre ainsi le silence,
 conscience elle-même, dont l’ego n’est qu’un mouvement. En   après avoir créé le bruit et s’être perdu en lui.
 cherchant à saisir le vent, vous vous fatiguez. En réalisant que
 vous êtes ce qui contient le vent, vous vous reposez. Le repos   *
 est dans l’être. C’est lui qui vous cherche. Laissez-vous cher-  *  *
 cher, laissez-vous trouver.  Peut-on se passer de comprendre la pensée, et simplement
            la laisser de côté, y compris lorsqu’elle s’exprime sous forme
 *          d’émotions ?
 *  *          Oui. Les émotions sont mémoires. Elles sont tributaires

 N’est-il pas salutaire de dire NON au mental qui repart dans   du contenu mental. La conscience n’est, elle, tributaire que
 ses obsessions ? Ma question paraît duelle, car c’est bien le     de sa propre mémoire. Elle n’est, de ce fait, pas asservie au



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