Page 81 - La pratique spirituelle
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contenu mental. Et l’unique pensée est la pensée « moi ».   Oui, on peut le dire ainsi. Pour la sainte indifférence, tout
 Toutes les autres pensées n’en sont que son fruit. Tourner son   est égal. Les mouvements égotiques sont aussi fonctionnels.
 attention vers la pensée « moi », c’est ainsi englober la tota-  Ils sont l’expression transitoire de la conscience dans l’espace-
 lité des pensées. Englober la totalité des pensées, c’est habi-  temps. Sitôt l’action accomplie, ils disparaissent. La présence
 ter une perspective qui les contient toutes, sans être contenue     est libre, par nature. Elle se révèle au mieux dans la non-saisie,
 par aucune.  mais est aussi présente dans la saisie.

 Il me semble que, dans une reconnaissance éclairée que la pen-  La conscience ne s’oublie plus quand l’identification au per-
 sée n’est qu’un objet, elle s’effondre aussi sûrement que la racine   sonnage est brisée. C’est pour cela qu’il n’y a plus de traces
 coupée de l’arbre empêche toute fructification ultérieure. Tout   mémorielles ?
 ce qui passe par la pensée est bon à laisser tomber ?  La conscience est toujours elle-même. Le personnage est
 Oui, sans hésiter. Ne reste alors que ce qui ne peut être   un mouvement qui apparaît en elle. Il est transitoire, et dispa-
 pensé. Nous nous situons ici, bien sûr, dans la perspective   raît aussi vite qu’il est apparu.
 d’une quête de vérité, et non d’un fonctionnement temporel,
 pour lequel le mental garde son utilité.  Est-ce l’attention qui s’oublie parfois dans le personnage, tout en
            demeurant elle-même ?
               On peut le dire ainsi.
 Pourriez-vous détailler comment se vivent simultané-
 ment ces deux perspectives du mental « ego » et du mental
 « fonctionnel » ?  Mais cette identification éphémère peut disparaître totalement ?
               Oui, totalement, notamment dans le sommeil profond et
 Le mental fonctionnel, qui permet l’organisation de la vie
 temporelle, est objet d’écoute. Ce qui le perçoit, le contient,   dans la non-pensée.
 et le transcende, n’est pas objet. Vous habitez la pleine écoute,   Il n’y a alors plus de place au personnage et ses histoires.
 et êtes une et indivisible dans la nature de votre être. Votre   Pas de place, en effet.
 mental se déploie pour la mise en forme des actions. En vous,
 toutefois, rien ne change. Vous êtes toujours la même, stric-  La vie et son cours sont laissés à eux-mêmes ?
 tement identique à vous-même, qu’il y ait ou non une formu-  Oui, à eux-mêmes.
 lation mentale. C’est cette autonomie par rapport à la pensée
 qui se cherche.  C’est un peu angoissant.
               Oui, angoissant pour le moi qui résiste à sa dissolution.
 Alors laisser tomber la pensée  est un faire qui n’a pas sa place
 sur un plan d’absolue tranquillité ? Certaines pensées tombent,   Mais si cette angoisse est acceptée, elle peut disparaître ?
 d’autres non, et c’est égal. C’est un mouvement périphérique,   Oui, lorsque sont acceptées les gesticulations du per-
 qu’il s›agisse d›un mouvement fonctionnel ou égotique ?  sonnage agonisant, celles-ci ne sont plus nourries par votre



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