Page 78 - La pratique spirituelle
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Il est difficile de se passer de moments fréquents et suffi-              personnage qui dit « stop, on arrête les dégâts ». En même
            samment prolongés, dans lesquels vous vous familiarisez avec                 temps, ma question n’est peut-être pas aussi duelle que cela,
            l’écoute silencieuse des sensations et des pensées. C’est cette              car j’ai l’impression de ressentir la positivité du NON, son éner-
            écoute qui amène la distanciation, et donc la tranquillisation.              gie déconstructrice d’une mauvaise habitude et reconstructrice
            En remuant un bocal d’eau, on ne fait que rendre l’eau encore                d’une perspective plus juste. J’ai l’impression que laisser claquer
            plus trouble.                                                                un NON à la névrose, au mental négatif répétitif, c’est comme
                                                                                         dire merci.
            Je me sens incapable de vivre dans le monde sans soutien. Et les                Le « non » dont vous parlez est celui d’une non-compli-
            seuls lieux qui offrent ce soutien au quotidien sont des hôpitaux            cité aux ruminations égocentriques du mental, entretenues par
            classiques.                                                                  l’intérêt égotique qui lui est porté. Lorsque cette complicité est
               Les séjours hospitaliers, s’ils sont pris du bon côté, peuvent            vue, et n’est plus nourrie, elle tend à s’éteindre, et à éteindre
            être vus comme l’occasion d’un retour à soi, dans un environ-                aussi les mouvements mentaux qu’elle contribue à maintenir.
            nement confiné, dans lequel les interactions égotiques sont                  Ce « non » est expression du Soi qui se sépare du non-Soi, de
            mises au repos. Profitez de ce moment pour stabiliser votre                  la vérité qui se différencie du faux, pour mieux se retrouver.
            esprit. La stabilisation vient de la non-identification au perçu.            Ce mouvement de dégagement, du sans-forme qui se dégage
            Maintenez votre écoute, d’instant en instant. Votre corps,                   de la forme qu’il habite, est curateur, puisqu’il permet à la
            votre mental et les mémoires qui lui sont associées, sont des                conscience de réaliser sa nature propre, sans objet. Elle peut
            objets d’écoute. Mettez-vous à leur écoute, en les accueillant               alors, ensuite, réintégrer l’objet, en tant que prolongement
            comme si vous accueilliez un bon ami. Ne cherchez pas une                    d’elle-même, sans pour autant se réduire et se restreindre à
            distanciation par la force, mais par l’amour. Lorsque vous                   lui. Cette retrouvaille du Soi avec lui-même peut être contée
            aimez vraiment, vous ne fixez pas l’objet aimé. Vous le lais-                sous la forme d’un dialogue animé entre le Soi et le moi. Elle
            sez libre, car l’amour est liberté. La liberté n’appartient pas à            peut aussi se faire en silence, dans le saisissement libérateur de
            l’ego qui, par nature, est conditionné. Elle s’enracine dans la              l’unité retrouvée et réalisée. Le silence réintègre ainsi le silence,
            conscience elle-même, dont l’ego n’est qu’un mouvement. En                   après avoir créé le bruit et s’être perdu en lui.
            cherchant à saisir le vent, vous vous fatiguez. En réalisant que
            vous êtes ce qui contient le vent, vous vous reposez. Le repos                                         *
            est dans l’être. C’est lui qui vous cherche. Laissez-vous cher-                                       *  *
            cher, laissez-vous trouver.                                                  Peut-on se passer de comprendre la pensée, et simplement
                                                                                         la laisser de côté, y compris lorsqu’elle s’exprime sous forme
                                       *                                                 d’émotions ?
                                     *  *                                                   Oui. Les émotions sont mémoires. Elles sont tributaires

            N’est-il pas salutaire de dire NON au mental qui repart dans                 du contenu mental. La conscience n’est, elle, tributaire que
            ses obsessions ? Ma question paraît duelle, car c’est bien le                de sa propre mémoire. Elle n’est, de ce fait, pas asservie au



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