Page 40 - Lux in Nocte 2_Neat
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Le sublime échappe à l’humain : le ciel, à la boue. La beauté se dérobe,
entraperçue ; se soustrait aux regards pressants, aux convoitises qui soudain la
dénaturent. Charisme : grâce, don qu’on ne saurait exiger sans mériter le reproche
aussitôt de la démesure. L’inconcevable advient pourtant, que l’éclair, de l’Orient
jusqu’au Couchant, troue la nuit de notre néant — du Mal — pour signifier un
au-delà que l’œil chercherait en vain sans cette révélation d’un instant (A terrible
Beauty is born, selon le vers de William Buttler Yeats) dont la fulgurance —
douleur suprêmement douce — a transverbéré bien des âmes.
Capturer quelque rayon de la Beauté nécessite une disposition préalable ignorée
des fabricants de marchandises culturelles : l’oubli de sa volonté propre et de son
propre langage au point d’éprouver le vertige au-dessus des gouffres de l’âme ;
sans quoi prévalent le débordement des vomissures nombrilistes et la pluie
battante des expectorations de l’esprit en proie à l’inflammation de la vanité. L’on
ne reçoit bien que si l’on prend conscience de son manque. Encore est-il
nécessaire de se déprendre des faux éclats et des valeurs clinquantes :
À contempler le firmament s'affermit un sens profond de la foi. Car cette
contemplation n'est pas de celles, brûlantes, qui signalent une pleine certitude et
39 la connaissance parfaite de l'évidence. Mais dans le ciel profond délivré de toute
traînée, l'attention d'un regard pur s'exerce librement. Il se laisse si malaisément
observer, l'astre immaculé, grain d'argent piquant le manteau royal. Et si
facilement la fine étoile se dérobe et refuse son éclat au regard plongé dans les
clartés artificielles.
Elle veut, elle exige une ascétique soumission, un pèlerinage dans la nuit, un
impitoyable renoncement à toute lumière qui ne vient pas d'elle et noircit son
rayonnement. Mais à l'unique amoureux qui la recherche avec soif et, de peur de
la perdre, n'ose la fixer en face, elle dispense le don de son innocence, elle qui
brillait avant que l'homme se révoltât, témoin d'un temps de grâce.
Fulgurant, ineffable et donné par grâce : tel est le Beau ; tel aussi Dieu.
Patrick Hervé ardyT