Page 42 - Lux in Nocte 2_Neat
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Le public se recueille religieusement ou vacille devant cet orage improvisé. Le chien
               s’est  assoupi  et  le  silence  éphémère  glisse  sur  les  frémissements  scintillants  de  la
               sérénade.

               Imperceptiblement,  au  milieu  des  ondes,  une  présence  semble  vouloir  surgir  et
               chanter. Drapée dans son anonymat, la muse s’impatiente. Elle est venue, portée par
               les embruns de la rivière. Elle a franchit les vitres glacées et se tient évanescente au
               milieu des gradins. Elle attendait ce moment depuis bien longtemps et à la faveur de la
               pénombre, elle sent que c’est son heure. Ce soir est son concert et le solo sera son solo.
               Telle  une  ondine  elle  se  faufile  entre  les  instrumentistes.  Elle  vibre  au  rythme  des
               violons  qui  parent  sa  beauté.  Elle  n’écoute  pas,  elle  vit  cette  suite  de  souvenirs
               essaimés dans la pénombre du théâtre. Elle a inspiré le poète, elle lui a donné sa force
               et sa jeunesse. Ce soir, elle assiste à un triomphe. Elle est bien là, invisible au milieu de
               ce chant glorieux et elle admire celui qui a su créer son œuvre. C’est elle le souffle qui
               murmure à son oreille, guide ses pensées. D’ailleurs elle est radieuse maintenant.

               La phrase finale approche, à peine un soupir et les applaudissements envahissent la
               salle.  Discrète,  Melpomène  accroche  la  lueur  de  sa  foi  dans  les  yeux  du  maestro.
               Silencieuse et humble elle reçoit les félicitations du public, nichée dans le corps de son
               mentor.

        41     La lumière électrique, à nouveau a redéfini les dimensions de la pièce. La magie qui
               nous a fait traverser les murs s’est tue. La scène n’est qu’une estrade de bois, frêle
               radeau des imaginations vagabondes. Le temps est redevenu présent.

               C’est une débauche de bravos, une avalanche d’estime. Les silhouettes des violonistes
               sont courbées pour la révérence. Le chef aussi baisse la tête en une mystérieuse prière,
               puis offre à chacune des musiciennes la rose blanche de la félicité.

               Les invités se pressent vers la porte, rassasiés. Ils se dispersent ensuite, chacun nimbé
               de  mélancolie  ou  de  bonheur,  unanimes  pour  remercier  et  partager  ces  délices.  Le
               couple  au  petit  chien  a  disparu,  pressé  de  libérer  l’animal  dans  le  grand  parc.  Il
               s’ébroue après tant de retenue. La lune diffuse sa pâleur et allonge les troncs noueux
               des arbres. La futaie resserre ses bras feuillus et ferme l’accès des chemins blancs. Sur
               la terrasse aux lampions, les derniers spectateurs se défont et quittent leurs ombres
               blafardes. Les hôtes s’affairent dans le vestibule. Quelques paroles sont chuchotées et
               s’échangent  pour  clore  la  soirée,  les  lourdes  portes  se  ferment  et  les  ténèbres
               habituelles sont rendues à la nuit. Plus loin, on entend le vrombissement des moteurs
               qui démarrent. La nuit est complète maintenant.



                                                                                    Vivianne Melh
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