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Le romancier utilise alors une liaison particulière, une sorte de frontière à cheval
               entre imaginaire et réalité, un « espace interstitiel » en somme, où le « curseur »
               utilisé par l’auteur pourrait librement se promener entre invention pure et

               inspiration de la vie réelle. Voilà peut-être où se situerait l’espace du « mentir vrai »
               d’Aragon cité plus haut.


               En définitive, le personnage de roman est, de tous les éléments issus de la plume de
               l’écrivain, celui qui doit être le plus « soigné ». Il faut faire croire au lecteur à

               l’existence du personnage. C’est un souci constant, au cours de l’écriture, de
               vraisemblance, de cohérence, entre toutes les dimensions qui constituent le

               personnage. A cet égard, la solution la plus massivement pratiquée par le
               romancier est de créer son personnage à partir d’une personne réelle, connue, et lui
               adjoindre des caractéristiques à partir de sa propre imagination, mais aussi de son

               expérience personnelle.


               Toute la difficulté pour l’écrivain réside dans la création d’un être « vrai » mais qui
               soit intéressant pour le lecteur. Malheureusement, la réalité peut être parfois d’une

               grande banalité ; par conséquent, pour soulever l’intérêt du lecteur, il faut que les            44
               personnages évoluent ! Certaines péripéties doivent leur arriver, qui entraineront un
               changement, un passage, une transformation. L’auteur évitera ainsi ce qu’il y a de

               pire pour tout personnage de fiction : susciter l’ennui du lecteur.


               Jean Cocteau a affirmé : « L’art est un mensonge qui dit la vérité ». Tout est affaire de
               dosage. Connaissez-vous la différence entre le menteur et le mythomane ? Le

               mythomane ment trop et trop souvent. Le menteur glisse un soupçon de mensonge
               entre deux vérités. Ainsi, on peut croire un menteur, mais on démasque très vite un
               mythomane. Le romancier doit donc concocter un personnage en utilisant la

               technique du menteur, pas celle du mythomane. Ainsi, il pourra donner naissance à
               des personnages presque  réels, et le lecteur sera intéressé par un récit vraisemblable,
               tout en s’écartant de la grise réalité.


               Somme toute, pour le romancier : créer des personnages de fiction se révèle aussi

               être une question de dosage, de mélange des différents ingrédients. Et, comme en
               cuisine, selon que l’auteur ait un soupçon de talent ou pas pour assembler le tout, le
               résultat pourra être sans relief ni surprise ou bien, parfois, un véritable régal.
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