Page 24 - Eduquer 155.indd
P. 24
dossier ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX: UN MODÈLE DE SOCIÉTÉ À RÉINVENTER
Julien Vastenaekels, Doctorant au Centre d’études du développement durable de l’ULB
De la crise sanitaire à la
décroissance?
Avec certains effets bénéfiques à court terme pour l’environnement et un
bousculement de nos modes de vie, le confinement interroge: vivons-nous
une forme de «décroissance»? Notre hypothèse est que non, les aspirations du
mouvement de la décroissance sont très éloignées des moyens déployés et des
conséquences de cette crise. Elle représente cependant une opportunité pour
repenser notre économie, bien que la transition vers la décroissance n’ait rien de
naturel et n’épargnera pas la nécessité d’une lutte.
Afin d’enrayer la propagation exponentielle du Crise sanitaire et décroissance, pas le même
nouveau coronavirus, les gouvernements à travers combat
le monde ont imposé abruptement un confinement Contrairement à ce que le terme peut laisser
à plus de la moitié de la population mondiale. Une croire, la «décroissance» ne constitue nullement
part importante des activités considérées comme un synonyme d’une «croissance négative» des
«non essentielles» a subitement été mise à l’arrêt ou activités économiques. Cette dernière est mieux
enduré des restrictions, tandis que les soignant·e·s désignée par le terme de récession. La récession
se trouvaient en première ligne pour traiter et sau- diminue indéniablement la pression de nos éco-
ver les personnes atteintes du Covid-19. nomies sur l’environnement, mais à court terme
Alors que l’économie retient son souffle en l’at- seulement, jusqu’à une reprise, et au prix de
tente d’une reprise, la nature, elle, donne l’impres- conséquences sociales insupportables.
sion de prendre une bouffée d’air. On observe une À l’inverse, la transition appelée de ses vœux
diminution à court terme inédite des émissions de par le mouvement de la décroissance suppose
gaz à effet de serre, la pollution atmosphérique a un processus volontaire, négocié démocratique-
drastiquement diminué dans les villes, la faune et ment et socialement équitable de réduction de
la flore profitent de la tranquillité offerte par les hu- l’échelle de nos économies, jusqu’à respecter
mains confinés pour se redéployer. De plus, des les limites biophysiques de la planète . Or avec
1
mesures attendues depuis longtemps par les te- la crise actuelle, on assiste à un accroissement
nant·e·s de modes de vie plus durables sont passées des inégalités. Des études montrent par exemple
du statut de mirage à celui de réalisation concrète que les minorités sont en moyenne plus dure-
en un temps record. Ainsi des centres urbains ban- ment touchées par la crise , alors que les plus
2
nissent la voiture et l’on assiste à la création mas- riches sont encore plus riches depuis le début
sive de pistes cyclables. Avec le confinement, cer- du confinement . Ensuite, la réduction des acti-
3
tain·e·s consommateur·trice·s se sont mis·e·s à la vités économiques peut difficilement être quali-
cuisine et au jardinage, posent de nouveaux choix fiée de volontaire. De plus, les décisions sur les
de consommation. On observe en Wallonie et ail- restrictions des activités sont prises en fonction
leurs une explosion de la consommation d’alimen- de l’impératif sanitaire plutôt que par de larges
tation «durable». Pour autant, peut-on affirmer que délibérations démocratiques sur l’avenir de notre
cette crise ait jeté les prémisses de ce que certain·e·s société. Enfin, les gouvernements n’utilisent pas
militant·e·s appellent la «décroissance»? Arrêtons aujourd’hui particulièrement les indicateurs en-
tout de suite le suspense, notre hypothèse est «non». vironnementaux comme boussole pour gérer la
24 éduquer n° 155 | juin 2020