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histoire
au village colonial. Les sauvages nus et noirs
sont confiés aux bons soins d’un comité de
dames patronnesses qui les loge et les habille
en accord avec notre climat. D’autres expo-
sitions internationales suivront en Belgique
et en Europe (Anvers 1894 -Tervuren et
Bruxelles 1897 - Bruxelles 1910 - Paris -
Londres - Milan-Berlin, etc.). Les noir·e·s,
dans ces villages coloniaux, subissaient des
traitements dégradants; ils étaient confron-
tés à des conditions climatiques inhabi-
tuelles, les conditions de vie étaient déplo-
rables. Plusieurs d’entre eux ne reverront
jamais l’Afrique: en 1897, à l’exposition de
Tervuren, sept Congolais disparaissaient,
plusieurs décès sont également à déplorer
à Paris en 1892, à Barcelone en 1896. Des
zoos humains seront encore organisés pen-
dant l’entre-deux-guerres et même après la
fin des hostilités en 1945 alors que parais-
saient les premiers signes de la décolonisa-
tion à la fin des années 1950. La dernière
Le comportement du colonisateur pagnée de violences et de victimes. Derrière les exhibition de noir·e·s en Europe dans un
Le comportement des Belges pendant la images idylliques de la construction d’écoles, village colonial eut lieu à l’exposition uni-
période coloniale vis-à-vis des Congolais·e·s des hôpitaux, des routes et chemins de fer la verselle de Bruxelles en 1958. «L’attraction»,
n’a pas été exemplaire. Il était souvent un population du Congo a été exploitée, a subi qui suscita de nombreuses critiques et dut
mélange de paternalisme et d’autorité que l’oppression et le racisme d’un système colo- fermer ses portes avant la fin de l’exposition,
Patrice Lumumba, en tant que premier mi- nial immoral ». a été sans aucun doute un des éléments dé-
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nistre, a dénoncé en termes virulents le 30 clencheurs de l’indépendance du Congo
juin 1960: «Nous avons connu le travail ha- Les zoos humains deux ans plus tard .
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rassant exigé en échange de salaires qui ne Le mépris des noir·e·s, stigmatisé par
nous permettaient ni de manger à notre faim, Lumumba, a atteint une dimension raciste Que disaient les manuels scolaires à
ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, avec les zoos humains . La propagande co- propos des noirs?
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ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. loniale comptait deux grands volets, l’aspect À ma connaissance, l’histoire du Congo
Nous avons connu les ironies, les insultes, les économique qui concernait l’exploitation n’était guère présente dans les programmes
coups que nous devions subir matin, midi et des richesses, que je n’aborderai pas ici, et d’histoire. Par contre, l’étude du Congo
soir parce que nous étions des nègres… Nous l’aspect social qui visait à donner au public faisait partie des programmes du cours de
avons connu nos terres spoliées au nom de européen une image du/ de la Congolais·e, géographie physique, de géographie éco-
textes prétendument légaux, qui ne faisaient de sa vie quotidienne, de ses caractéris- nomique et accordait une grande place à la
que reconnaître le droit du plus fort, nous tiques physiques, mentales et intellectuelles. description des ethnies. Edouard Vincke
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avons connu que la loi n’était jamais la même, D’une manière générale, l’accent était mis a dépouillé de nombreux manuels. Je lui
selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir, sur les aspects étranges: la nudité, les coif- emprunte quelques textes concernant la
accommodante pour les uns, cruelle et inhu- fures, les tatouages , les danses et le sens du présentation des populations noires.
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maine pour les autres… Nous avons connu rythme, la polygamie, voire même le canni- «Le nègre, l’un des trois types primor-
qu’il y avait dans les villes des maisons ma- balisme; en résumé, les Congolais·e·s étaient diaux de l’espèce humaine (avec le blanc et
gnifiques pour les blancs et des paillottes crou- traité·e·s comme des arriéré·e·s auxquel·le·s le jaune), se distingue par ses formes robustes,
lantes pour les noirs; qu’un noir n’était admis le colon apportait la civilisation et l’Église, le ses cheveux laineux, ses lèvres épaisses, son
ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni christianisme. Dès la fin du XIX siècle, sur teint noir… Moins intelligent et moins actif
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dans les magasins dits européens, qu’un noir le modèle du cirque Barnum aux États-Unis, que les autres races, le nègre est resté généra-
voyageait à même la coque des péniches au les Européen·ne·s vont exhiber des noir·e·s lement sauvage, ignorant, superstitieux, ado-
pied du blanc dans sa cabine de luxe» . Cette en Europe; les Africain·e·s étaient installé·e·s rateur de fétiches; il se laisse dominer par des
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condamnation de l’ère coloniale n’est plus dans des villages reconstitués dans les ex- chefs absolus et féroces, qui le traitent comme
aujourd’hui scandaleuse. Guido Grijseels, positions universelles. C’est à Amsterdam, une bête de somme, le sacrifient à leurs plai-
directeur général du nouvel AfricaMuseum en 1883, que débuta «cette mode» des zoos sirs, ou le vendent à vil prix (1880) ». Cette
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(Tervuren) déclarait en substance lors de humains. Deux ans plus tard, le 12 mai 1885, description du «nègre» a été reprise dans
l’inauguration du nouveau musée: «il était douze noir·e·s débarquaient à Anvers pour des formes différentes par des auteurs plus
temps de tourner la page de la mission civi- participer à l’exposition mondiale qui devait se récents. En 1948: «La race noire a la peau
lisatrice pour reconnaître que la colonisation tenir dans la métropole et pour être exposé·e·s brun-chocolat, la mâchoire inférieure sail-
fut d’abord une entreprise capitaliste accom- au public comme spécimens de la race noire lante, les lèvres épaisses, le nez large et aplati
30 éduquer n° 155 | juin 2020