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266 La Crise des Cuba missiles de 9 17 16 risque de réplique et de toute menace de sa propre destruction. de lancer une offensive nucléaire, afin de se débarrasser de tout frappe. Dans ces conditions, tout État pouvait d
LA MAIN CACHEE · La crise envahie, l’Amérique, liée par un traité, aurait de nombreuses
raisons de défendre cette ville. Risquait alors de s’ensuivre une
Au petit matin du 14 octobre 1962, l’avion-espion américain U-2
guerre, probablement nucléaire.
prit des photos de reconnaissance de Cuba, révélant la présence de
Pendant que Kennedy et ses conseillers débattaient du
sites nucléaires sur l’île. D’après les clichés, les missiles n’étaient pas
problème, le monde était soigneusement tenu dans l’ignorance. Or,
encore opérationnels, mais les Soviétiques mettaient tout en œuvre
pour accélérer la mise en place de leur arsenal, tout en gardant
opérationnels. Et si cette situation se produisait, l’opération
secrètes leurs activités. chaque jour qui passait, les missiles risquaient de devenir
militaire américaine deviendrait infiniment plus dangereuse.
Le Président Kennedy fut immédiatement informé de la Kennedy opta finalement pour une mesure risquée consistant à
situation. Une fois que les missiles seraient opérationnels, fut-il mis imposer un blocus sur Cuba. Or historiquement parlant,
en garde, les villes et les citoyens d’Amérique risquaient d’être l’instauration d’un blocus correspondait à un acte de guerre. C’est
littéralement éradiqués. En effet, un seul missile nucléaire lancé de pourquoi il lui préféra le terme de « mise en quarantaine », laissant
Cuba pouvait atteindre Washington D.C ou une autre métropole ainsi aux Soviétiques une chance de démanteler les missiles et de
en cinq minutes, et tuer quatre-vingts millions de personnes ! Les quitter Cuba. Cette décision était dangereuse et incompréhensible
États-Unis n’avaient jamais été confrontés auparavant à une telle pour certains militaires, car elle ôtait toute possibilité d’une
menace. C’était la première fois qu’un Président américain devait attaque-surprise. En effet, dès que Kennedy prononcerait le terme
faire face à une crise de cette ampleur. 9
de « mise en quarantaine », les Soviétiques se mettraient en état
Kennedy décida de garder cette information secrète, afin de d’alerte maximale vis à vis d’une action militaire américaine.
planifier une stratégie et éviter d’être pris de court par les Cependant, Kennedy ne pouvait garder éternellement le secret.
événements. Ses conseillers militaires lui suggérèrent de lancer une Quelques jours après le début de la crise, les grands journaux du
attaque-surprise massive sur Cuba et sur les sites de missiles pays eurent vent de la situation. Mais alors qu’ils étaient sur le
soviétiques, suivie d’une invasion générale des forces américaines. point de publier le scoop, Kennedy les devança et s’adressa lui-
Mais une invasion présentait le risque de déclencher une guerre même à la nation.
générale contre les Soviétiques, conflit qui pouvait facilement
basculer dans une catastrophe nucléaire. Qui plus est, les militaires
de Kennedy ne pouvaient s’engager à détruire 100% des missiles. · La phase publique
Et un seul missile nucléaire restant aux mains des Russes pouvait La crise des missiles de Cuba
suffire à exterminer des millions d’Américains.
Une fois la crise devenue publique, la tension monta. Aucun camp
De plus, même si aucun missile nucléaire n’était lancé de Cuba, ne voulait la guerre, mais chacun s’y sentait acculé. Le 24 octobre,
Kennedy était persuadé que les Soviétiques répliqueraient en des navires marchands soviétiques (apportant peut-être des missiles
envahissant Berlin Ouest. Or à l’époque, Berlin-Ouest était à supplémentaires) s’approchèrent de la ligne de blocus. Les navires
l’URSS ce que Cuba était aux États-Unis. Si Berlin-Ouest était de guerre américains envoyés dans leur direction repérèrent
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risque de réplique et de toute menace de sa propre destruction.
de lancer une offensive nucléaire, afin de se débarrasser de tout
Cuba
frappe. Dans ces conditions, tout État pouvait donc être tenté
conflit nucléaire, s’il pouvait être détruit lors d’une première
risquait même au contraire d’inciter à une agression et à un
un arsenal nucléaire n’avait aucun pouvoir dissuasif, voire
probabilité de signer son propre arrêt de mort. À première vue,
missiles de
armes nucléaires pour défendre son territoire, en dépit de la
tentèrent de décortiquer la logique sous-tendant l’usage des
années 1950, quelques-uns des meilleurs cerveaux du monde
fondamental : « La capacité de seconde frappe ». Au cours des
La Crise des
• La Guerre Froide vit l’apparition d’un concept
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Nord risquait d’être entièrement éradiqué. »
d’un tel surarmement que « s’ils l’utilisaient, l’Hémisphère
détracteurs du nucléaire de l’époque, les Russes étaient pourvus
conventionnelles soviétiques. Pour reprendre les termes des
parfaitement conscients de la puissance des armes non
sur la supériorité de l’arsenal américain, tout en étant
analystes américains du renseignement n’avaient aucun doute
États-Unis disposaient d’environ 18 000 armes nucléaires. Les
Unis. Lorsqu’Eisenhower céda la présidence à Kennedy, les
disait à l’époque la communauté du renseignement des États-
modeste, il n’en était pas moins immense, à en croire ce qu’en
considérable. Quant à l’arsenal soviétique, bien que plus
• En 1960, l’arsenal nucléaire des États-Unis était
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terrestre ou sur un porte-avions.
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sous l’aile de chasseurs-bombardiers positionnés sur une base
simples bombes à TNT, et pouvaient facilement être placées
puissantes, mesurant 1 mètre de long, avaient la forme de
Au moment de la Crise des missiles, des bombes vingt fois plus
exploser, une équipe d’experts avait dû travailler plusieurs jours.
qu’elle soit chargée à bord d’un avion et programmée pour
LA MAIN CACHEE
mesurait 3 mètres de long et pesait près de 5 tonnes. Pour